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Lorsqu’une douche, un lit et un bar deviennent des lieux de dépassement de soi
Crédit: Myriam Pageau-Harpin

On dit souvent qu’il faut s’accrocher aux petits plaisirs de la vie, de ne jamais cesser de s’émerveiller face aux petites choses comme le soleil qui pointe son nez ou l’odeur d’un lilas en fleur. Quand on combat un problème de santé mentale, c’est bien souvent à travers l’accomplissement de petites tâches quotidiennes et l’énergie que celles-ci exigent de nous que l’on peut évaluer notre niveau de rétablissement.
 
Pour moi, c’est dans une douche commune à 5 227 km de Montréal que la grande révélation m’est apparue : j’allais mieux.
 
J’ai déjà écrit sur ce qui a déclenché mon trouble de stress post-traumatique, mais je n’ai pas eu la force, au cours des sept derniers mois, d’expliquer ses effets. En décembre dernier, au travail, à bout de souffle, je me suis écroulée. Deux jours avant Noël, j’ai fini ma journée de travail exténuée, le visage bouffi : j’avais trop pleuré. Je ne supportais plus le moindre stress, le moindre commentaire.
 
S’en sont suivis sept mois d’arrêt de travail à attendre que l’Indemnisation des victimes d’actes criminels commence enfin à verser mes indemnités. Ce fut de longs mois de violente pauvreté, de retrait de toute vie sociale, de combat contre moi-même, pour ma vie. Puis, soudainement, un beau matin de juillet, mon compte en banque présentait enfin un montant en haut de zéro. Ça m’aura pris quelques heures avant de me ressaisir et d'enfin payer les milliers de dollars de dettes accumulées durant cette période.
 
Puis, sur un coup de tête, j’ai fait renouveler mon passeport et j’ai décidé de m’envoler rejoindre mon amoureux qui était en Pologne pour dix jours. J’y ai passé une semaine à tenter de me convaincre que c’était réel, que je pouvais me payer un café, que le divan sur lequel j’avais passer tant d’heures était loin derrière moi. Lorsque la semaine s’est terminée, je me suis envolée seule en direction de Londres, que j’avais toujours rêvé de visiter.

 Crédit : Myriam Pageau-Harpin/Instagram

C’est là qu’une succession de moments me faisant crier victoire a commencé. Victoire face à la vie, face à mon agresseur, face à la maladie mentale. Sitôt arrivée à l’auberge jeunesse, qui m’effrayait au plus haut point avec les centaines de personnes potentiellement dangereuses qui la peuplaient, je me suis dirigée vers les douches. J’étais entrain de rincer le shampoing de mes cheveux lorsque ça m’a frappée : alors qu’à peine deux mois auparavant, j’étais incapable de prendre une douche en étant seule à la maison, que même lorsque mon copain s’y trouvait, j’étais terrorisée si je n’y traînais pas un couteau, j’étais apte à prendre une douche dans un lieu commun. Je n’aurais jamais cru être aussi fière de me laver les cheveux.
 
L’idée d’une auberge jeunesse me terrorisait. Si je n’étais pas en sécurité chez moi, comment pouvais-je l’être dans un lieu où tant de gens se trouvaient? Si je réagissais au moindre bruit la nuit, que je gardais un couteau sur ma table de chevet pour me protéger, que la simple ouverture d’une porte en pleine journée provoquait une crise d’angoisse, qu’un invité attendu me faisait peur au point de me cacher, que j’étais incapable de socialiser et de répondre au moindre message, comment allais-je réagir dans un dortoir, dans un bar, dans une salle de bain?
 
Lorsque je suis rentrée de ma balade, le premier soir, je me suis timidement installée au bar avec ma bière. Je craignais vivement le déroulement de la soirée. Il faut dire que la dernière fois que j’étais sortie dans un bar, j’avais terminé ma soirée en crise, me sentant agressée à la moindre avance de la gent masculine. Deux autres sorties, dans les années passées depuis mon agression, m’avaient menée à l’urgence psychiatrique. Si on ajoute le fait que depuis plus de deux ans, ma confiance en moi s’était éteinte, que je ne pensais qu’aux mystères de mon agression, que celle-ci avait fini par me définir et que je ne savais donc plus de quoi d’autre parler, qu’allais-je bien dire à tant d’inconnus?
 
Soudainement, mon sauveur est apparu. Un jeune Ontarien qui avait vécu à Montréal et était assez sociable pour compenser pour une auberge entière. Il fallut peu de temps pour que je me mette à discuter de tout et de rien avec la terrasse entière en entamant ma deuxième bière. J'avais donc à nouveau des choses à dire, aussi fou que cela puisse paraître! Ce soir-là, je me suis paisiblement endormie dans mon dortoir de 21 personnes. Lorsqu’au matin, je me suis réveillée sans couteau et remplie de joie, je me suis dirigée vers la salle commune pour fêter, café à la main, deux autres victoires.
 

Crédit : Myriam Pageau-Harpin/Instagram

Au cours des deux dernières années, mon anxiété sociale avait prit une telle ampleur que la simple idée d’une réunion familiale ou d’une soirée avec une amie de longue date me terrorisait. En voyageant seule, je n’ai pas eu d’autre choix que de sortir de ma zone de confort et de combattre mon anxiété afin d’avoir une dose quotidienne de contact humain. J’ai même eu la chance de finalement rencontrer Elvan, notre belle expatriée, afin de partager une délicieuse pizza et d’assister à une soirée karaoké (où elle n’a malheureusement pas eu la chance d’interpréter le répertoire de notre Céline nationale).

Crédit : Myriam Pageau-Harpin

J’ai passé dix jours de bonheur et d’insouciance à Londres, à déambuler dans les rues, à faire de merveilleuses rencontres, à dormir, à me laver et à parler à des inconnus, loin de la terreur qui aura contrôlé ma vie trop longtemps.

S'il y a bien une chose que j'ai réalisée, c'est que les choses les plus banales peuvent devenir nos plus grandes réussites. On dit souvent que des gens partent à l’autre bout du monde pour se retrouver, qui aurait cru qu’il était possible de le faire dans une douche?

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