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Dermablend et le malaise d’une campagne à double tranchant
Crédit: Dermablend

De plus en plus de compagnies se tournent vers des modèles de beauté accessibles et diversifiés. Je pense entre autres aux campagnes publicitaires d’Aerie, de Barneys, de Debenhams et de Diesel, qui présentent des mannequins aux allures plus naturelles et beaucoup moins unidimensionnelles qu'à l'habitude.
 
La gamme de produits pour le teint Dermablend est la dernière marque à surfer sur la vague avec sa campagne « Camo Confessions ». On y voit deux femmes, l’une qui souffre d’acné sévère et l’autre qui est atteinte du vitiligo (affectation de la peau qui consiste en une dépigmentation complète par endroits), y révéler leurs visages au naturel.
 

À travers d'émouvants témoignages, elles discutent de comment leur « état » affecte les interactions en société. Elles expliquent aussi le rôle que joue le maquillage dans leurs vies, affirmant qu’il leur permet non pas de se cacher, par peur du jugement des autres, mais plutôt de révéler leurs true selves.
 
(La campagne met aussi en vedette Rico Zombie, mais comme la condition de sa peau ne lui a pas été infligée, j’ai choisi de ne pas en parler.)
 

D'une part, c'est très rafraîchissant de voir des « vrais » visages dans une publicité de cosmétiques. On s’entend que les résultats qu’on nous vend normalement sont tout simplement irréels; le Voluminous de L’Oréal a beau être performant, il faudrait qu’il puisse me greffer des cils pour que les miens ressemblent à ceux qu'on voit dans leurs pubs!
 
L’angle choisi par Dermablend est aussi intéressant, dans le sens où on ne vend pas du rêve, mais plutôt une solution réaliste pour faciliter la vie de ces femmes, dont l’apparence est considérée comme étant « anormale » dans notre société.
 
D’ailleurs, le problème de celle atteinte du vitiligo n’est pas que de nature cosmétique, mais touche en quelque sorte à son identité (merci à Goulet pour cette observation). On n'est donc pas tout à fait dans une quête de la beauté et de la perfection ici, ce qui détonne avec le discours des publicités de maquillage en général.
 
Mentionnons également que la campagne invite les gens à partager leurs « Camo Confessions » sur les réseaux sociaux. Pour chaque témoignage, l’entreprise remettra 1 $ à l’organisme Look Good Feel Better. Si ça rejoint un peu le concept de la #nomakeupselfie, ça a quand même le mérite d’être un peu plus pertinent et structuré. Yay!
 

Crédit photo : Dermablend

Malgré tout, je ne peux m'empêcher de trouver qu'il y a quelque chose de fondamentalement déplacé dans le fait qu'une entreprise s'approprie les problèmes réels de personnes tout aussi réelles, et ce, dans le but de se faire du capital de sympathie (ET DU CAPITAL TOUT COURT) en se positionnant comme la solution miracle à leurs maux.
 
J’éprouve le même genre de malaises devant ces pubs que devant celles de la campagne « Real Beauty » de Dove. Je suis incapable de considérer ces vidéos qui nous font intentionnellement larmoyer comme étant des démarches honnêtes.
 
D’ailleurs, la campagne de Dermablend n’en est pas à une contradiction près. Déjà, le slogan Blend in to stand out me laisse perplexe. J’en comprends le sens, mais j’y vois aussi un constat désolant de la société dans laquelle on vit : ça envoie carrément le message selon lequel il faut se conformer aux standards de beauté pour être en mesure de se faire apprécier à sa juste valeur.
 
De plus, il y a un autre aspect de cette campagne qui me trouble énormément. Ma comparaison va sembler énorme, mais la notion de partage de ces « Camo Confessions » me fait un peu penser à des filles aux prises avec des troubles alimentaires qui s’échangeraient des trucs pour maigrir sur un forum en ligne.
 
Laissez-moi m'expliquer : l’initiative est rassembleuse et permet sans aucun doute de briser l'isolement chez plusieurs personnes. Toutefois, la campagne ne prône pas vraiment l’acceptation de soi, mais plutôt l’adaptation de soi. En ce cens, Dermablend ne m’apparaît pas du tout comme le véhicule idéal pour ce genre de mouvement et je ne peux m'empêcher d'y entrevoir un petit quelque chose de malsain.

Loin de moi l'intention d'être méprisante et de prétendre que je comprends la réalité vécue par les personnes aux prises avec de graves affectations de la peau. Leurs démarches sont tout à fait légitimes, et j'aurais très probablement recours à du maquillage si j'étais à leur place.

Toutefois, il n’en demeure pas moins que le problème, il se travaille par en-dedans. Même si Dermablend se présente comme une solution, leurs produits n'aident pas à le régler, mais plutôt à le masquer. C’est plate à dire, mais c’est ça pareil.

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