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Le jour où j’ai commencé à me trouver laide.
Crédit: Alex Viens

Je devais avoir cinq ans quand j’ai pensé pour la première fois que j’étais trop grosse pour porter un bikini.

Déjà, une petite bête noire s’était installée dans ma tête.  Mes complexes ont coulé de mon ventre à mes cuisses, de mon visage à mes pieds, ont léché chaque parcelle de ma peau jusqu’à me faire pourrir de l’intérieur.

À partir de ce moment-là, ça a juste empiré.

Parce que les choses ne s’améliorent pas quand on se trouve laide à cinq ans. On traverse la puberté tant bien que mal, les cheveux gras, les aisselles qui puent, les vêtements mal ajustés. Puis on frappe un mur à l’adolescence. Un gros crisse de mur.

Je me rappelle le feu qui me montait aux joues quand on me regardait de travers dans l’autobus. Le malaise quand venait le moment de se changer dans les vestiaires. Toute cette angoisse dépensée à camoufler mon pli de ventre, lorsque j’étais assise en classe.

Au début, c’était cute.

Et puis est venue la comparaison. Des idées empoisonnées comme la honte d’être la plus grosse dans sa gang d’amies. Attribuer ses flops amoureux à son visage grossier. Réaliser qu’une barre tendre, ça peut remplacer un dîner. Et commencer à ramasser les miettes d’affection un peu partout.

J’ai longtemps entretenu le fantasme de faire l’amour pour la première fois avec un chandail sur le dos. Avec un peu de musique, la lumière fermée. Et, si possible, en missionnaire. Mon idée était tellement faite que je n’avais jamais envisagé que ça pourrait se passer autrement.

Ça me faisait du bien de rêver à une expérience intime qui me dévoilerait le moins possible. Dans laquelle je pourrais être totalement oubliée et que la vue de mon corps ne resterait gravée dans la mémoire de personne. J’aimais penser que je pourrais être spectatrice de mon plaisir, de ma nervosité, de mes sensations. Et qu’il n’y aurait aucune chance que j’y repense en ayant honte de m’être montrée vulnérable.

Je n’ai pas pu garder mon chandail. La lumière était ouverte et c’était silencieux.

Il n’y a jamais de bonne raison de se détester. Ça provient de partout, ça naît de rien. Un commentaire méchant d’un camarade de classe qui résonne et prend de l’ampleur quand on se ramasse seule. Voir sa mère manger un repas différent à l’heure du souper parce qu’elle « fait attention ». Ou réaliser finalement qu’on ne ressemble pas du tout à Sailor Moon. C’est la faute à personne, mais c'est aussi la faute à tout le monde en même temps.

Chaque jour, les clientes de ma boutique glissent d’affreux jugements sur leurs corps entre deux rires nerveux. Des clientes de tous âges, de toutes formes. Je pense qu’il est possible d’arrêter de se détester autant et que le vrai problème n’est pas ces parties de peau qui nous déplaisent. Croyez-moi quand je vous dis que vous avez autre chose à faire que d’avoir peur de vivre parce que vos cuisses bougent quand vous marchez.

J’aime mon corps plus que je ne l’ai jamais aimé. Des années plus tard, avec davantage de vergetures, de poignées d’amour, de zones molles. Je l’aime maintenant, parce que j’ai compris que les insécurités qui m’habitaient plus jeune n’étaient pas réelles. Que le corps que je pensais lourd et laid était en fait plus frêle qu’il ne le serait jamais, maintenu par le stress et l’anxiété du paraître. J’ai décidé que j’aimerais mon corps comme il est en ce moment, parce qu’il ne sera plus jamais le même avec la force du temps.

Et quelle liberté, enfin!

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