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Petite réflexion d’une Arabo-Québécoise : parce que nous aussi, nous avons peur.
Crédit: lesensdesimages.com

Vu le contexte social et politique de ces derniers jours, j’ai voulu vous parler de la peur. La peur que notre gouvernement canadien et nos médias aiment bien mettre de l’avant. Une peur qui remonte à loin.

Quelque part dans les années 90
On entend parler de la montée de l’intégrisme au petit écran. Mes parents craintifs se mettent à imaginer mille scénarios sanglants. Une tuerie à la piscine, parce que nous étions en bikini, une autre dans une école ou au parc. Je ne comprenais pas cette peur qui tenaillait l’intérieur de ma mère.

Chose certaine, la télévision nous avait transmis la peur du Moyen-Orient.

11 septembre 2001
L’attentat du 11 septembre a bouleversé nos vies. Je me souviens encore de mes parents qui se demandaient s’il fallait changer nos prénoms ou nous faire porter des verres de contact. La menace se faisait sentir. Elle était là, mais surtout, elle se nourrissait de nous, de notre peur, de notre colère, de notre incertitude. Que faire, quand ta communauté est pointée du doigt? Quand le monde entier a une dent contre les musulmans?
 
Le 11 septembre marque le jour où j’ai compris qu’être musulmane ne se résumait pas qu’à faire ses cinq prières ou à faire le ramadan. Ça allait plus loin, beaucoup trop loin pour l’adolescente que j’étais. À l’époque, je n’avais pas saisi l’étendue des répercussions de cet acte terroriste sur ma communauté, ni sur moi ou sur ma quête identitaire.

Inconsciemment, j’avais décidé de me taire. De faire fi de moi, de mon être, parce que c’était plus simple. C’était plus facile de montrer au reste de la planète Terre que je n’étais pas comme EUX. Et peu à peu, j’ai laissé la haine m’envahir. Je croyais que le seul moyen de me dissocier d’EUX, c’était de me dissocier de moi-même.   

Depuis le 11 septembre
De l’adolescence à aujourd’hui, du moment où j’ai décidé que mon héritage arabo-musulman n’influencerait pas mon identité et mon avenir, à celui où j’ai fait la paix avec moi-même, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Entre le rejet réciproque de ma communauté et celui de la société québécoise qui s’est installé doucement et sournoisement, j’ai basculé.

Peu importe le contexte, peu importe avec qui j’étais, il y avait toujours un frère pour me ramener sur le bon chemin. Toujours un frère pour me faire sentir coupable de boire ma Boréale dorée tranquille. Toujours une sœur pour me dire quoi faire, pour le bien de mon âme. De l’autre côté, il y avait constamment ces discussions enflammées, ces incompréhensions étalées au grand jour à l’heure du repas, ces blagues pas si drôles qu’on lançait entre deux pintes, et ce, devant moi, sans gêne.

Et ça, c’était ma faute. À force d’avoir peur, j’avais réussi à m’effacer à grands coups de liquide correcteur. Effacer mon nez trop prononcé, mes cheveux foncés, mes « r » roulés. J’aurais dû être fière de mon coup. Pourtant, c’était tout le contraire.

Vous savez cette peur véhiculée en premières pages de nos médias, elle existe aussi au sein des foyers musulmans. Elle est beaucoup plus puissante que vous ne le croyez. Elle nous suit du berceau jusqu’à l’âge adulte. Cette peur qu’un jour la montée de l’intégrisme gagne, avec son Coran charcuté et son obsession du pouvoir absolu, est réelle. Elle vit en dedans de nous. Impossible de la faire taire. Impossible de la faire disparaître. On apprend à vivre avec, on cohabite ensemble. C’est tout.

Cette peur, tous ensemble on peut y venir à bout. L’important c’est de ne pas la laisser nous aveugler, la laisser nous empêcher d’accueillir des réfugiés. Elle ne doit pas servir de justification aux actes violents.

Vous avez le droit d’avoir peur. On est tous un peu effrayés, t’sais. Néanmoins, soyez plus intelligents qu’elle. Lisez, tendez la main, écoutez, parlez. Nous voulons juste vivre en paix, main dans la main.
 
Il ne faudrait pas l’oublier.

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