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Se pardonner après avoir vécu l’impossible
Crédit: Annie Nonyme

Ce n’est pas vrai qu’on peut simplement décider d’oublier, pis that’s it.
 
C’est loin d’être aussi simple.
 
À l’âge de 4 ans, j’ai connu le silence, un silence écrasant et terrifiant. Le genre de silence qui fait que tu n’es plus un enfant. Un silence qui fait que tu grandis trop vite et que t’es obligée de comprendre tout trop vite.
 
Pendant longtemps, je me suis détestée. Tellement, au point de vouloir me suicider.  J’étais enfermée dans le silence. Je comprenais tout, mais à la fois rien. Je ne contrôlais rien, mais le silence contrôlait tout.
 
Les épaules d’un enfant ne devraient jamais avoir à porter ce genre de fardeau. IL a commis l’impardonnable. Pourtant, j’ai mis tant d’années à me pardonner et à LE dénoncer.
 
À 4 ans, on découvre les poupées, les blocs Lego, la bicyclette, mais pas la grosseur d’un pénis d’homme.
 
Il avait semé la terreur dans mes yeux. Je me répétais souvent cette phrase : « Ne le dis pas à tes parents, ils vont être fâchés. »
 
Moi, briser une famille?
Mettre la marde dans la famille?
Me faire dire que je mens?
Perdre cette personne?
Faire de la peine à mes proches?
 
Toutes ces questions ont fait en sorte que j’ai mis 10 longues années avant de parler.
Avant d’exploser.
Avant d’arrêter de banaliser la gravité de ses actes.
Avant de comprendre qu’il n’y a qu’un seul coupable, lui.
 
Tout ça, je ne l’ai compris qu’à 14 ans.
 
Un soir, je suis allée retrouver mes parents dans le salon. Je me rappelle des phrases exactes de mon discours. « Il faut que j’vous parle. » 

Mon père lui aurait certainement cassé la gueule s’il avait été en face de lui.
 
Je ne suis pas une fille qui pleure souvent, mais la semaine de ma dénonciation, un rien me faisait pleurer. J’ai tellement enfoui ce cauchemar au fond de moi, que j’avais mis sur pause mes émotions, mes besoins et mes peurs d’enfant.
 
Pourquoi met-on 10 ans à prononcer ces maux? Parce qu’on a tellement peur de blesser les gens autour de nous qu’on finit par se blesser soi-même. Après dix ans, certains souvenirs sont flous et resteront flous à jamais. C’est sûrement mieux comme ça.
 
Un soir de septembre, j’ai rencontré l’enquêteur du dossier, de mon dossier. Enquêter sur l’agression sexuelle d’un enfant, ce n’est jamais facile. Raconter son agression, ce n’est jamais facile non plus. Deux policiers étaient là : l’un assis à une table avec moi, puis l’autre derrière un miroir spécial, qui filmait, sans que je ne puisse le voir. C’est gênant de raconter en détail son histoire. Ils en ont vu d'autres, mais ce n’est pas tous les jours qu’on doit se remémorer des détails qu’on préfèrerait enterrer pour toujours.
 
C’est difficile, dénoncer. Ce qui est le plus difficile, c’est de vivre avec le cœur meurtri en se sentant dégueulasse. La personne qui a brisé la vie d’un enfant est dégueulasse. La situation est dégueulasse, mais jamais l’enfant. Un enfant ne devrait jamais se sentir honteux. Ne devrait jamais se sentir comme je me suis sentie.
 
Dénoncer, c’est se libérer. On ne devrait jamais avoir à vivre dans la peur. Jamais. Même 10 ans plus tard, justice a été rendue.
 
Aujourd’hui, j’aspire à un avenir meilleur. J’ai arrêté de croire que c’était de ma faute. J’ai commencé à ME pardonner avant de penser à LE pardonner.
 
Si vous avez été victime d’agressions sexuelles, parlez-en. Vous en valez la peine, pis vous avez le droit d’être entendu et aidé. Pour commencer vos démarches, contactez le Centre d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel de votre région.

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