Aller au contenu
Apprendre à ne plus s’en vouloir
Crédit: Gabrielle Gendreau

En ce mois de février positif, je te dédie cette lettre.
 
Je m’en suis tellement voulu longtemps après les attentats de Paris en novembre dernier. Je suis restée dans ma tanière protégée par les 6000 kilomètres de distance qui me séparaient de cette tragédie. J’ai regretté tellement de fois de ne pas avoir été là pour mes amis et mes collègues qui vous pleuraient, de ne pas les avoir pris dans mes bras pour qu’on forme une boule ensemble.

Je m’en suis tellement voulu de ne pas être venue te rendre hommage à tes funérailles. Je me suis blâmée d’avoir continué ma vie trop vite alors qu’on t’avait pris la tienne, d’avoir décidé que quatre jours dans mon lit à morver sur l’oreiller avec mes chats, c’était assez. J’ai tellement été en criss d’avoir été bête la dernière fois qu’on s’est parlés, de ne pas t’avoir dit que je m’ennuyais, d’avoir été trop pressée pour un Skype.
 
J’ai tellement été fâchée contre moi, tu sais.    
 
Pis à un moment donné, j’ai réalisé que là où tu es, tu dois te facepalmer en tabarnouche devant mon comportement pis te répéter que c’est pas de ma faute ce qui est arrivé, en espérant que moi aussi je l’entende.
 
Ça va prendre du temps, mais il faut que j’arrête de m’en vouloir constamment de vivre, alors que toi tu ne le fais plus. Je ne peux pas me demander sans cesse si c’est normal que j’aie du fun alors que tu n'es plus là pour en avoir avec moi. Il faut que j’arrête de me demander si je suis une bonne personne parce que j’ai pleuré quatre jours et que j’ai continué à aller de l’avant.

Je me suis trouvée tellement ordinaire et poche de faire mon deuil aussi vite alors que les horreurs des attentats résonnaient encore en écho dans ma tête. Je me suis remise en question tellement de fois à me dire que j'étais anormale, que j’aurais dû te pleurer plus longtemps, que tu méritais une peine à la hauteur de l’homme que tu étais. Je me sentais coupable de ne pas pouvoir te donner autant de larmes que tu en méritais.
 
Je sais que tu ne m’en veux pas, au fond. Que dans le doux espace où tu es, tu es content que j’aie continué à faire ce que tu as toujours fait de mieux : vivre.
 
J’ai hésité longtemps avant de partir à Paris. J’avais le shake de t’y chercher constamment sans t’y trouver, d’être enfin confrontée à la réalité. Celle à laquelle j’avais échappé depuis un mois et demi. Puis, finalement, ces trois semaines m’ont permis de te laisser partir pour vrai et de faire un peu la paix avec moi-même.
 
Dans les rues, je n’ai pas vu la terreur des événements, les balles qui ont lacéré ton corps et ceux de tellement d’autres personnes et le sang qui a abondamment coulé au nom de la connerie humaine, non.
 
Dans ces rues, j’ai vu tous nos souvenirs. Ce café où on s’est rencontrés, ce bar où on se rejoignait après le travail, les verres de vin en terrasse, les discussions partagées, ta désinvolture un peu agaçante, ce dernier souper en ta compagnie, nos matins ensoleillés, ton sourire plein de dents, nos soirées arrosées et ton visage illuminé dans l’été. 
 
Oui, la réalité m’a frappée de plein fouet, mais juste pour mieux me rendre compte que j’ai eu la chance de côtoyer l’une des personnes les plus extraordinaires.
 
À toi, mon chat, qui a marqué ma vie de 856 437 belles façons, joyeux anniversaire.
 
Ta Gisèle qui t’embrasse.

Plus de contenu