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Grandir avec trois grands frères : une petite histoire d’estime de soi
Crédit: Nathalie Slupik

Je suis née avec trois grands frères, dont deux avaient déjà toutes leurs dents ou presque à mon arrivée en ce monde. Autrement dit, je suis la petite dernière de ma famille et la seule et unique fille. Lorsque je  dis cela aux gens, ils me répondent le plus souvent : « Wow! Comment fais-tu? Ça doit être terrible. » Ça m’a toujours semblé absurde comme idée. Jusqu’à aujourd’hui, où je me suis arrêtée pour prendre le temps de bien répondre à cette question.

Ça m’a toujours semblé absurde, parce que je me considère chanceuse d’avoir des frères. Je n’ai jamais souhaité avoir de sœur, ou de frère qui soit plus jeune que moi. Ça ne m’aurait pas déplu, mais disons que je ne l’ai jamais désiré. Mes parents m’ont toujours dit que c’était fantastique d’avoir des grands frères qui pourraient prendre soin de moi quand ils ne seront plus là.

Être la cadette
Mais c’est justement le problème : j’ai grandi avec l’idée que je ne pouvais pas me débrouiller seule, car c’est ainsi qu’on me traitait. Si je voulais faire quelque chose par moi-même, on me disait : « Arrête, tu es trop petite », « Arrête, tu vas te faire mal ». Et quand on essayait de m’encourager à apprendre quelque chose, comme faire du vélo, attacher mes lacets, des choses d’enfant, je me décourageais très facilement, à cause de cette idée que je n’étais pas capable. On me laissait me décourager, peut-être parce que j’étais la dernière, que j’étais venue 10 ans après le premier, qu’entre nous il y en avait deux autres, et que mes parents étaient un peu fatigués.

D’un autre côté, il est vrai qu’avoir trois grands frères, c’est avoir toujours quelqu’un sur qui compter. J’étais bien contente lorsque, au secondaire, mon frère m’aidait avec mes maths. J’étais bien contente lorsque j’étais prise dans une relation difficile avec mon ex et que mon frère était là pour me donner de sages conseils, du haut de ses dix années d’expérience de plus qui en avaient vu d’autres.
Pour moi, avoir trois grands frères, c'est être née pourvue de trois meilleurs amis pour la vie. Et puis, même si cela m’a rendue plus fragile et dépendante des autres, grandir aux côtés d’enfants plus vieux m’a fait grandir plus vite.

Être la seule fille 
Si j’ai toujours eu le sentiment que mes parents avaient un peu la tête ailleurs quand je suis née, j’ai aussi toujours pensé qu’ils ne savaient pas quoi faire avec une fille. Habitués à élever des garçons, ils semblaient s’attendre à ce que ce soit pareil avec moi. Je me sentais différente de mes frères, et je voulais à tout prix être comme eux. Je voulais faire du skate, des sports, alors que j’avais une constitution fragile et n’étais pas du tout portée vers l’activité physique. J’aimais rêver, inventer des histoires avec mes jouets. J’étais aussi très sensible, et pleurais facilement.
Mes frères me taquinaient beaucoup, parfois méchamment. Ils torturaient mes poupées, agissaient en frères normaux qui embêtent leur sœur, au fond. Alors, je sentais que je devais changer quelque chose, pour qu’on ne se moque plus de moi. Quand mon père me sommait de finir mon assiette et d’ainsi « faire un homme de moi », j’étais sûre que quelque chose clochait chez moi. Je n’étais pas assez bien, je n’appartenais pas au groupe. Et ce sentiment ne m'a jamais quittée, où que j'aille. 

Ma mère était plus encourageante avec moi. Positive, elle me rappelait mes qualités, et elle aurait bien voulu que j’arrête de vouloir être ce qu’on nomme un « garçon manqué». Je n’ai jamais été garçon manqué, j’étais juste une petite fille qui voulait que ses frères l’aiment.

Et mes frères m’aiment, et mes parents aussi. Je ne voudrais pas avoir l’air d’une enfant martyre, mais simplement, on ne se rend pas toujours bien compte de l’impact que l’on a sur les autres.

Faire entendre sa voix 
J’ai toujours eu de la difficulté à savoir prendre ma place au sein d’un groupe. Parce qu’avec ma famille, il fallait crier pour se faire entendre. Mes parents me l’ont toujours dit : les autres n’ont jamais été colériques comme je l’étais. Comme je le suis encore aujourd’hui. Je me mettais en colère pour qu’on comprenne que je n’aimais pas qu’on torture ma poupée, je me mettais en colère tout simplement parce que je voulais qu’on sache que j’étais là. Aussi, comme je me sentais perpétuellement rejetée, j’étais très susceptible, et un rien me blessait.

Aujourd’hui, je n’en veux pas à ma famille. Je suis heureuse d'avoir de très bons grands frères, qui me donnent le meilleur d’eux-mêmes. Je ne souhaite toujours pas avoir de sœur, car qui sait qui je serais aujourd’hui? On pourrait avoir tout le bonheur du monde, qu’on désirerait toujours autre chose.

Je comprends plutôt que j’ai un long chemin à parcourir pour apprendre à prendre ma place. Apprendre à me faire confiance, et à faire confiance aux autres. En écrivant ce texte, je pensais tout le temps à changer mes mots pour ne pas blesser ma famille, car je les aime et je ne voudrais pas qu’ils pensent le contraire. Et la présence de telles pensées dans mon esprit me prouve que j’ai grandement besoin d’apprendre à exister, tout simplement.
 

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