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Maman, je ne t’aime plus

Auteur: Annie Nonyme
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Maman, je ne t’aime plus
Crédit: frankbeckerde/Pixabay

Ça fait ingrat de dire que je n’aime pas ma mère. Non, elle ne m’a jamais maltraité et elle a même fait des choses plutôt correctes pour moi et ce, encore aujourd’hui. Pourtant, je n’arrive plus à l’apprécier comme une fille devrait apprécier sa mère. Certes, nous n’avons pas toujours été ainsi. À vrai dire, plus jeune, je la considérais comme une amie et, parmi toutes les mères de mes copines, c’était la plus cool.

Par contre, avec le temps, j’ai réalisé que notre relation était superficielle et que notre belle entente n’était qu’en surface. Raconter mes échecs, pleurer dans ses bras, lui révéler mes angoisses et mes préoccupations; tout ça était hors de question avec ma mère. J’éprouvais un grand malaise à l’idée d’aborder ce type de sujet et me montrer vulnérable devant elle. À l’adolescence, cet inconfort n’était pas un problème parce que, malgré tout, ça restait une mère plus cool que les autres. Qui d’autre jouait aux charades avec sa mère en attendant l'autobus? Personne, évidemment. C’était ma mère, la plus cool.

En vieillissant, je me suis peu à peu éloignée d’elle, réalisant chaque jour que je devenais de plus en plus l’adulte de la relation. Alors qu’elle persistait à vouloir jouer aux charades à l'arrêt de bus pour conserver notre soi-disant belle relation, j’affrontais ma nouvelle vie d’adulte et toute l’angoisse que celle-ci m’apportait, seule, sans réel soutien maternel. Son autonomie qui dépérissait au fur et à mesure que je vieillissais me pesait de plus en plus; elle n’était plus en mesure de faire les choses simples de la vie de tous les jours et s’en remettait à moi pour la prendre en charge. Ce n’était rien de bien gros : des petites tâches anodines mais qui, avec sa réticence maladive de les accomplir, m’étouffaient. Elle me faisait porter le chapeau de l’adulte responsable au lieu de cultiver une relation d’égale à égale. 

Pendant qu’elle jouait la carte de l’enfant à charge, moi, j’espérais (en vain) établir un lien plus fort qui nous permettrait de communiquer. Plus le temps passait, plus elle balayait mes confidences, mes réussites et mes projets du revers de la main pour mieux parler d’elle. Un nouvel emploi, un voyage, une peine d’amour; rien de ce qui m’arrivait n’était assez important pour elle.

Cependant, tout ce que je ressentais ne se traduisait pas de l’extérieur. Elle m'a souvent donné des plats cuisinés, elle m’a aidé à magasiner ma voiture et elle a même pris rendez-vous avec un conseiller pour moi afin que j'obtienne une assurance vie. Si ce n’est pas prendre soin de moi, tout ça! Eh bien, non. Après plusieurs séances avec une psychologue afin de régler mon trouble alimentaire et mon automutilation – des ennuis provoqués en partie à cause de ma relation houleuse avec ma mère et dont je ne pourrai jamais lui faire part –, j’ai réalisé que toutes ses belles actions reflétaient uniquement un sournois égoïsme. Oui, elle voulait mon bien, mais seulement selon ses termes et sa vision de ce que devait être ma vie. 

N'ayant pas eu une grande carrière, sans importantes réussites, je suis devenue sa plus grande fierté, sa meilleure réalisation, la raison pour laquelle son existence avait un sens. Elle ne pouvait donc pas se permettre que je sois une moins que rien qui poursuivrait des rêves menant à une vie instable et infructueuse. Tous les désirs et ambitions un peu frivoles que j’ai eus, au cours de ma vie, ont été discrédités : le chant, la photographie, la danse, le voyage, la vie sans voiture, la colocation, le deuxième baccalauréat… bref, tout ce qui semblait précaire et qui m’éloignait de cette idée de devenir une fonctionnaire lucrative et matérialiste. Pour ma mère, sa petite fille travaillant pour une grosse corporation avec un fond de pension garanti, rapportant beaucoup d’argent, vivant dans un condo neuf et conduisant la voiture de l’année était l’image de la réussite. SA réussite. 

Aujourd’hui, maman, je ne t’aime plus.

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