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Danger sur les routes et dans les médias : blâmer les victimes ne réglera pas le problème
Crédit: Lightspring/Shutterstock

Je m’appelle Laïma.
Je suis une rescapée de la route.
J’écris ces lignes parce que j'ai la chance d'être en vie.

Le 9 octobre 2013, j’ai été victime d’un accident de vélo impliquant un poids lourd. Alors que je roulais tout droit, au feu vert, un camion-benne m’a happée en effectuant un virage à droite. 
Ce scénario vous dit quelque chose? Pas étonnant : un accident similaire est (encore) survenu lundi dernier, au coin de Rosemont et Iberville, à Montréal. Et ça s’est également passé en juin 2013, sur le Plateau Mont-Royal. Puis au Centre-Ville, en avril 2014. Et sur Saint-Urbain, au printemps suivant. Et sur Bellechasse, l’an dernier…

Depuis que je me suis moi-même fait frapper par un 10 roues, accident qui m’aura valu « seulement » trois fractures, deux opérations douloureuses, une convalescence d’un an et plusieurs épisodes anxieux, je me sens particulièrement concernée par tous ces accidents.

Emportiérages (oui, un mot a dû être créé pour décrire l’ouverture d’une portière sur un cycliste), collisions sous des viaducs, virages à droite : chaque fois qu’on annonce un accident impliquant un cycliste, j’éprouve une grande compassion pour la nouvelle victime.
Mardi matin, quand j’ai vu passer la nouvelle de l’accident fatal de lundi sur mon fil Facebook, une boule s’est logée dans ma gorge, et ne l’a toujours pas quittée depuis. Je n’arrête pas de penser à cette jeune femme de 24 ans, le même âge que j’avais en octobre 2013…

Comme à chaque nouvel accident du genre, je tente de transformer ma peine, ma rage, mon sentiment d’incompréhension et d’impuissance en actions constructives. Je suis les pages Facebook de groupes comme Coalition Vélo Montréal. Je m'informe sur les initiatives d’aménagement urbain proposées par la ville. Je lis sur les projets de loi de partage équitable de la route, comme le dépassement sécuritaire d’un cycliste.

Et c’est alors que je tombe là-dessus :

Crédit : Sylvain Denis/Agence QMI
Journal 24H

Ce genre de commentaire, cette phrase mise en gros et en rouge, me donnent envie de hurler. Mettre en premier plan le fait que « la cycliste happée ne portait pas de casque » ne fait en rien avancer un débat, pourtant essentiel, qui devrait être envisagé dans une perspective beaucoup plus vaste. Pire encore, ça détourne entièrement le problème en jetant le blâme sur la victime, dans une dynamique de shaming.

Bien sûr que je suis en faveur du port du casque (qui, bien souvent, sauve des vies), là n’est pas la question. Mettre l’accent sur ce que la victime a supposément « fait de mal » de façon si violente et peu nuancée envoie le message qu’elle est la seule fautive. Dans une situation comme celle-là, la cycliste est clairement en position de vulnérabilité face au camion. Je ne vois donc pas en quoi c’est utile de tenter de piéger la victime en supposant que si « elle avait porté un casque, rien de tout ça ne serait arrivé ».
Même si elle avait porté un casque, l’angle mort du camion n’aurait pas été moins grand, et les voies réservées aux cyclistes n’auraient pas été magiquement plus sécuritaires et adaptées. Le raisonnement du journaliste ne tient donc pas la route et est extrêmement dangereux.
 
De plus, tout cela renforce le climat trop souvent haineux qui règne entre les différents usagers de la route. Et ça donne lieu à des commentaires vraiment horribles sur les réseaux sociaux, comme ceux-ci, suite à un accident impliquant un vélo et un VUS survenu en 2014 à Montréal :

Crédit : Facebook
 

Je ne cherche pas à faire l’éloge du vélo et des cyclistes et le procès de l’automobile. Le débat n'est pas là. Cependant, des villes comme Copenhague et Amsterdam accordent une réelle place au cyclisme urbain. Je suis consciente qu’il s’agirait ici d’un changement de mentalité assez drastique, mais j’espère que les projets doucement entamés à Montréal suivront cette tendance et deviendront permanents.
Ce qu’il faut, c’est engendrer un réel dialogue et surtout, AGIR. Il faut arrêter de pointer les uns et les autres du doigt, cesser d’entretenir un certain déni face à la situation, réfléchir de manière nuancée et surtout, dans une perspective à long terme.  
 
Tout mon appui aux cyclistes accidentés et toutes mes pensées aux proches des cyclistes disparues, particulièrement Justine.

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