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Moi et ma petite face vaguement exotique
Crédit: Geneviève Beauregard-Paultre

J’ai des origines mixtes. Ma mère est québécoise. Mon père est haïtien.
 
Lors d’un séjour en France, lorsque j’étais plus jeune, on m’a déjà dit que j’étais « typée ». Même si je sourcille toujours un peu face à la signification et les implications de ce qualificatif, beaucoup de gens semblent effectivement déceler une touche d’exotisme en moi, sans pouvoir mettre le doigt précisément sur sa source.
 
On m’interroge donc beaucoup là-dessus. Lorsque je lève le voile du mystère, j’ai presque inévitablement droit à des minois flabbergastés. C’est que les gens ont un stéréotype haïtien en tête auquel je ne corresponds pas. En d’autres termes, il semble que je n’aie pas l’air assez noire.
 
On s’entend, je suis loin du prototype blonde aux yeux bleus. Dans le temps de l’affaire Hérouxville, j’aurais probablement été classifiée comme une « étrange ». Grandir dans mon Sherbrooke bien blanc des années 1990 m’a largement fait sentir l’étendue de ma différence (que j’ai peu à peu appris à apprécier, rassurez-vous. Ce n’est pas un récit triste).
 
L’affaire, c’est que j’ai le cheveu brun pis raide, pis fin, pis plat. Mon teint est plus hâlé que foncé. Pour vous donner une idée, mettons que je pourrais être agent double et me fondre dans la foule en Italie, au Maroc ou en Argentine (si j'étais plus badass et que je me forçais plus à apprendre des langues étrangères).
 
Chaque fois que je changeais de classe ou d’école, chaque fois que je débute un nouvel emploi maintenant ou que je rencontre un nouveau groupe de personnes, je guette le moment où on commentera ou me questionnera sur ma dite face ou mon « bronzage », et que je devrai lâcher la bombe.
 
Au fil du temps, j’en ai entendu des vertes et des pas mûres. Loin de moi l’idée de vous décourager d’engager un dialogue sur l’appartenance culturelle ou ethnique dans vos futures rencontres. Au contraire, l’ouverture découle souvent d’une saine curiosité. Il y a juste certains lieux communs à éviter pour que l’échange soit intelligent et respectueux.
 
On me demande souvent, par exemple, d’où je viens. À ça, j’aimerais répondre que nous sommes en 2016, pour citer notre Justin national. Y’a beaucoup de petites faces exotiques qui ont le Canada comme lieu de naissance sur leur passeport et ça ne devrait pas être si choquant. Du moins, le contraire ne devrait pas être sauvagement présumé. En plus, il suffit d'écouter mon accent et l'intrigue est vite résolue. 
 
Lorsque – coup de théâtre – je révèle que mon père est noir, il n’est pas rare que les protestations fusent. « T’as même pas les cheveux frisés! », « Ben non, t’es ben trop blanche! ». Une amie du secondaire m’a même dit un jour que je m’étais trompée selon sa mère, que je devais être tahitienne et non haïtienne. Pour vrai, nous sommes pas aux gags Juste pour rire. Y’a pas de caméra cachée. La génétique, c’est une science complexe. Un peu trop pour qu’on s’obstine avec. Pis come on, j’ai quand même des meilleures jokes que ça dans la vie.
 
Une fois que l’idée de mes origines haïtiennes est acceptée, souvent, j’assiste à des tentatives d’étiqueter précisément la couleur de peau de mon père. « Ben là, il doit pas être noir noir ? ». « Est-ce qu’il est genre couleur Obama? ». Je me sens toujours un peu comme si j’étais au Sico et que je devais décrire la teinte que je voulais au vendeur pour peinturer ma salle de bain. Honnêtement, la couleur exacte de mon père, c’est pas important. Qu’on s’intéresse à son histoire (lui-même a des ancêtres africains, français et danois) ou à celle de son pays, son enfance, son arrivée au Canada, ça oui. Pour le reste, on se garde une petite gêne.
 
Les gens ont finalement l’irrépressible désir de parler de mes futurs enfants. « Ils vont être cute en tout cas. C’est beau, des métisses! ». « Ça se peut que ton bébé sorte noir, han, ça saute des générations, y paraît. » Ah, ok. Ben merci de l’avertissement. Personnellement, je n’ai encore jamais vu deux québécois blancs, qui viennent de se rencontrer, commenter leur progéniture à venir ou se dire que leurs enfants pourraient sortir roux avec un air catastrophé. Je suggère d’éviter le sujet complètement. C'est juste awkward et sans valeur ajoutée.
 
À part de ça, comme je disais ci-haut, je suis ben ouverte et ça me fait plaisir de parler de plein d’affaires! La culture haïtienne est riche, et c’est bien plus qu’une question de noir ou de blanc. Nous jaserons bouffe, soupe au giraumon, grillot ou sauce pois. J’imiterai les meilleures expressions créoles de ma grand-mère et nous aurons du fun!

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