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Mon père, ses gants de boxe et le système de santé bancal
Crédit: Julie Rainville

Il y a deux semaines, mon père est parti en ambulance, a perdu beaucoup de sang et a eu un diagnostic de cancer de l’estomac. Au bout de quelques jours d’émotions intenses, nous nous mettons en mode « confiance », la confiance que nous serons pris en charge. Mon père se munit de gants de boxe intérieurs, grâce à son caractère de combattant qui n’a rien à son épreuve, et je l’aime encore plus. Un ami d’enfance qui m’accompagne à l’hôpital me dit « ton père, he’s been touched by grace ». Car c’est épeurant de voir son père, dans cet état à la fois si beau, assister au déploiement de sa force.
 
Peu de temps nous a suffi pour réaliser l’impuissance que nous vivons face au système de soins de santé, en lequel nous avons du mal à avoir confiance et qui, plus que la maladie, nous sacre des baffes au moral. Ironiquement, ce n’est pas la vue éventuelle de la mort, de la perte de qualité de vie ou de la maladie qui nous abat, mais le système de soins de santé dans lequel nous émergeons et qui place l'humain en dernier lieu de son échelle de priorités.
 
En sortant de l’urgence, il a passé 48 heures dans un corridor, comme oublié là par le système de répartition, avec un fou qui rôdait et un néon au dessus de la tête. J’ai dû faire pression à l’admission pour qu’on lui trouve une chambre. Il demande un somnifère pour se reposer dans ces conditions et à minuit, le médecin n’avait pas encore autorisé le médicament.
 
Plus tard, on nous informe que les résultats de la biopsie nécessaire pour faire le diagnostic et le plan d'intervention va tarder parce que « le gars qui s’en occupe est en congé ». En plus, un médecin donne le congé à mon père tandis qu'il menace de perdre connaissance. À la maison, l’hémorragie refait surface et mon père retourne à l’urgence. Cette fois, c’est plus grave.
 
Après toute une batterie d’examens passés, plusieurs transfusions sanguines, mon père qui devait « remonter la pente » n’a pas reçu de soluté ou d’aliment. On avait « oublié ». À ce moment-ci, nous attendions toujours des résultats pour un diagnostic. L’attente est interminable, et ce, dans une chambre dont l'évier fait des reflux bruns.  
 
Tout ça se passe au Québec, à Montréal, en 2016, dans un hôpital près de chez nous. Et il est assez ironique de lire les textes présentés sur le niveau de qualité, qui avancent des services axés sur l'humain du genre : « Dans notre établissement, vous serez traités comme une personne unique et votre dignité guidera nos gestes ». Yeah, right
 
Quel manque d’humanité, de précisions et d’oublis dans ce système bancal! Mon père est un gestionnaire dévoué qui a dirigé des gens avec beaucoup de compréhension, un chasseur respectant la nature de manière quasi spirituelle, un fils et un frère qui s’est impliqué avec altruisme, un père présent qui a su tenir les éléments de sa vie en équilibre malgré les tempêtes. Il a beaucoup contribué à la société sans jamais avoir recours à des services : là, il en a besoin, c'est urgent et il mérite toute la précision scientifique et la dignité du monde. Comme n'importe qui, d'ailleurs.
 
Quel est donc notre pouvoir devant ce système au ralenti qui échappe des données? Devant l'urgence de la santé d'un proche? Il ne reste ironiquement qu’à prier. Orienter mes vœux pour que nous ayons la « chance » que les tests soient analysés rapidement, que son dossier ne soit pas égaré trop longtemps lors d’un transfert entre deux étages, ou qu'un bon médecin croisera enfin notre chemin pour prendre la bonne décision, sans toutefois être pressé de passer à un autre patient.
 
Parce que mon père, il a tout ce qu’il faut en lui pour se battre comme Rocky Balboa. 

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