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Pourquoi j’ai arrêté le militantisme étudiant
Crédit: shawncarrie/Shutterstock

J’ai commencé à m’impliquer en 2012, au crépuscule du « Printemps érable ». Tout au long de la grève, notre horaire, à mes camarades et moi, était semblable : on se levait en même temps que le soleil pour les actions matinales, on participait à des manifestations l’après-midi puis à celles du soir, et on finissait ça autour d’une bière avant d’aller dormir quelques heures et recommencer le lendemain.
                    
Une fois la grève terminée, j’ai occupé quelques postes dans le conseil exécutif de mon association, j’ai continué d'assister aux congrès de l’ASSÉ, j’ai accroché un milliard d’affiches et je me suis faite ennemie de tous les membres de la direction de l’établissement scolaire.
 
Je suis devenue de plus en plus frustrée, j’ai entretenu de plus en plus de conflits avec mes amis et mes camarades militants, j’ai vu mes résultats scolaires s’effondrer et, surtout, je suis devenue plus malheureuse que jamais. Je suis partie et j’ai réfléchi.
 
J’ai hésité à publier un tel article parce que le monde du militantisme étudiant est, d'après ce que j'ai vécu, un milieu cannibale. Je sais que je vais me faire basher, qu’on va me juger, qu’on va me traiter de traître, d’ignorante, de pas assez radicale, etc. Mais j’ai besoin de partager comment je me suis sentie dans ce qui m'apparaissait comme une secte super exclusive. Ceci est un point de vue subjectif, prenez-le comme un témoignage. 
 
Dans le militantisme étudiant, on ne donne jamais assez de soi-même, on n’est jamais assez radical et on est en compétition continuelle avec les autres militants. Parce que le militantisme, c’est un peu comme un programme de points de fidélité ou encore un jeu de cartes Pokémon. Il y existe une hiérarchie implicite où lorsque tu es en bas de l’échelle, tu te fais donner la sale job et tu montes quand tu t’es indigné devant assez de trends. Les trends, justement. Chaque saison, il y a une nouvelle mode, une nouvelle injustice à dénoncer. Les questions de discrimination raciale, par exemple, n’ont jamais été énoncées par les associations militantes tant que ce n’est pas devenu « à la mode » d’en parler.
 
Il y a beaucoup d’agressivité et de condescendance envers les non-militants ou les nouveaux militants. J’ai entendu, une fois, une conversation entre deux militants dont les cartes Poké-militantes devaient être considérées comme fortes à l’époque :
« Vas-tu à tel événement tel jour? »
– Non, ça va être chiant, il va y avoir plein de bébé-anars.

Les bébé-anars, c’est les nouveaux militants. Les associations étudiantes vont se prétendre inclusives en leur disant « Yay, bravo de t’impliquer! On t’aime déjà full! », mais c’est de la bullshit. Quand tu ne fittes pas dans le moule du militant idéal, on s’arrange pour que tu n'aies plus le goût de te présenter au local de l’association.
 
Me dérangeaient aussi les techniques de mobilisation douteuses où l'on prend son interlocuteur pour un imbécile jusqu’à preuve du contraire, les powertrips des conseils exécutifs, les jeux de qui peut le mieux utiliser les procédures des instances pour obtenir ce qu’il veut, et encore, l’agressivité continuelle.
 
Après avoir quitté, j’ai décidé de devenir apolitique. C’était trop difficile de ne pas m’engager émotionnellement dans tout ce que je lisais dans les médias. J’ai décidé de faire semblant que je ne savais rien parce que ça me pourrissait de l’intérieur. Depuis que je ne participe plus au milieu militant étudiant, je me rends compte que j’ai réussi à avoir des échanges bien plus prolifiques sur des enjeux politiques qui me tiennent à cœur en gardant ça friendly, sans tentative de domination de l’interlocuteur.

À tous les militants actuels, bravo pour votre courage et pour votre don de vous-mêmes. N'oubliez pas de vous écouter, de connaître vos limites et de pratiquer quotidiennement le self-care.

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