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J’aurais aimé ça te dire bye
Crédit: Warpboyz/Shutterstock
« Prière de ne pas envoyer de fleurs, un don au centre de prévention du suicide serait apprécié. »
Ça, c’était à la fin de ton avis de décès. Je n’ai jamais su comment ou pourquoi. Je n’ai pas posé de question. Vois-tu, je n’avais pas croisé ni tes parents, ni tes amis depuis six ans. Tes funérailles, ce n'était pas la place ou le moment pour partir à la quête de réponses. De toute façon, ça ne changerait rien. Peu importe la manière, peu importe l’élément déclencheur, tu n’étais plus.

D’ailleurs, toi non plus, je ne t’avais pas vu depuis six ans. Nos dernières paroles, on les avait échangées par texto, quand je me suis arrêtée chez toi une dernière fois pour déposer ma clé dans ta boîte aux lettres. Ça m’aura pris trois ans pour passer d’une fille qui t’aime outre mesure à une fille tannée de ta game.

J’aurais pensé que les six années qui séparaient notre histoire de ta mort l’auraient rendue moins coup de poing. L'indifférence n'était pas une option, certes, mais je ne m’imaginais pas te pleurer en me couchant tous les soirs durant des semaines. Pourtant, c’est ce qui s’est produit. Et dans l’église, j’ai braillé ma vie. Tes chums de brosse jasaient pis riaient un peu, entre eux, quelques bancs en arrière. C’était peut-être juste un mécanisme de défense pour ne pas se laisser envahir par les émotions, mais j’ai quand même choisi de les juger. J’aurais aimé ça qu’ils aient de la peine. 

Ta mère ne m’a pas reconnue tout de suite. Ton frère, oui. Ton père essayait de ne pas pleurer, mais ça ne se pouvait pas. Je me suis demandé si tu te serais quand même suicidé si tu avais su la peine que ça leur causerait. Si tu avais su qu’ils t’aimaient. Tu comparais souvent ta famille à la mienne. Parce que la mienne était toute croche pis un peu amochée, mais remplie d’amour. Puis que la tienne, sous ses airs proprets pis ordinaires, elle était frette. J’ai aussi pensé que tes parents ne savaient sûrement juste pas comment te dire leur amour. Peut-être que tu ne le ressentais pas, mais il était bien là. Je pensais beaucoup de choses sans les ordonner dans ma tête. Le prêtre parlait d’un p’tit Jésus de miséricorde qui allait t’accepter dans son cœur malgré la façon dont tu nous avais quittés, parce qu’il est rendu fin de même, le p’tit Jésus.

Quand tu revenais à la maison après les bars, tu pleurais souvent. C’était étrangement les moments où je me sentais le plus près de toi, comme si ce que tu projetais habituellement s’effaçait. Je ne te voyais jamais vulnérable. Tu m’avouais que tu te sentais seul, que personne ne t’aimait, que tes amis, c’était des chums de poudre. Le lendemain, c’était l’omerta, interdiction d’en parler. Tu m’as déjà dit que c’était facile de me faire du mal parce que j’étais la seule qui t’aimait. J’aurais dû crisser mon camp.

J’aurais revécu tes funérailles en boucle si je le pouvais. Pas pour voir ta famille, entendre les speeches et surtout pas pour le Jésus progressiste. Juste pour ne pas te dire bye. Parce que là, c’était la vraie de vraie dernière fois. Et je ne sais pas pourquoi, mais je n’étais pas certaine si j’avais le droit d’avoir autant de peine. Est-ce que c’est normal de souffrir du décès d’un garçon pas fin? Même aujourd’hui, ça m’arrive de me demander si j’exagère. C’est absurde de vivre le deuil d’une personne qu’on ne côtoie plus. Rien ne bouge, tout est différent. C’est un clivage entre deux mondes. Je ne te voyais pas, mais tu existais. Je ne te vois pas plus et tu n’existes plus.

Tu m’auras fait pleurer jusqu’à la fin. 

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