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Vivre lentement n’est pas vivre moins
Crédit: BlueOrange Studio/Shutterstock

« Tout le monde attend après toi! Tu ne vois pas que nous retardes? »
 
J’avais 6 ans. Je terminais d’attacher mes chaussures en sortant d’un module de jeu. La responsable de la vie scolaire nous avait amenées dans un centre récréatif, une dizaine de filles de première année et moi, pour récompenser notre bon comportement en classe. Je ne comprenais pas pourquoi elle criait. Je ne comprenais pas, non plus, comment les autres avaient fait pour être prêtes aussi vite. Bien tirer les bas, ajuster chaque lacet, faire une double boucle, c’était long, non?  

J’ai commencé à comprendre que j’étais lente. C’est devenu plus évident après le primaire, après les périodes d’arts plastiques où je n’avais jamais le temps de finir mes dessins (je mettais 57 ans à choisir un thème, et 57 autres à tracer une ébauche). J'ai changé d'école en secondaire 3, et je me sentais encore « nouvelle », avec de « nouvelles » amies, en secondaire 5. Ma première peine d'amour a duré des années. Quand je produis une page de thèse par jour, je trouve que j'ai structuré mes idées et choisi mes mots avec une efficacité fulgurante (je ne vous dirai pas combien de temps j'ai mis à écrire ce billet). Je suis stressée si je sais que j'ai plus d'une tâche costaude à accomplir dans ma journée. La vivacité d'esprit et le sens de la répartie ne sont pas au top de mes qualités.

Les seules choses que je fais vite, c’est marcher et parler. 

Ç’a m’a longtemps complexée. Partout, je voyais des ami(e)s, des collègues, arriver deux fois plus rapidement à la même étape ou au même résultat que moi. Je les voyais faire et vivre mille autres choses en plus. Je me demandais ce qui clochait chez moi : ne pas réussir à multitasker quand le multitasking est présenté comme une norme, ça témoigne forcément d’un problème, hein? Rester longtemps au même stade ou dans le même état émotionnel, c’est de la rigidité ou de la faiblesse, right?
 
J’ai cherché ce qui pouvait me ralentir : mon perfectionnisme, ma timidité, mon hypersensibilité, mon manque de concentration, ma tendance à douter de tout… Je m’en suis voulu. J’ai essayé d’accélérer ma production, d’optimiser mon temps, de développer ma capacité d’adaptation. Le seul effet que ç’a eu, c’est d’augmenter ma colère contre moi-même. Je me suis souvent couchée en pleurant à la fin d’une journée où je n’avais pas été assez proactive à mon goût; où je n’avais pas coché chacune des tâches de ma (trop) longue to-do list. 
 
Puis, j’ai réalisé que, même si je réussissais à tout faire, je ne me sentais pas mieux. Mon chum m'a aidée à accepter l'évidence : ce beat-là ne me correspond pas. La lenteur ne doit pas être « corrigée » ou « combattue » parce que ça n’est pas un défaut en soi. C’est un rythme, comme celui du métabolisme. Je ne suis pas paresseuse. Je ne manque crissement pas de volonté ou d’énergie. Ce que je vis, je ne le vis pas moins intensément que quiconque – au contraire. Ça m’en prend juste moins pour dire que je suis occupée ou que j’ai une existence remplie. J’ai juste besoin de plus de temps pour processer les imprévus, les changements. Tout se passe mieux quand je reste sur le plongeoir à checker ça avant de sauter dans le creux. 

Faire la paix avec ça, c’est me respecter.
 
Je suis consciente que choisir la lenteur, voire même réfléchir au rythme comme à un enjeu central de l'existence, est un privilège : plein de facteurs (sociaux, économiques, médicaux) peuvent rendre ça impossible. Je mesure la chance que j’ai de pouvoir me tourner vers le #SlowToute; de pouvoir moins remplir mon horaire et plancher sur un projet à la fois. Ok, je ne ferai probablement pas autant de choses que d’autres dans ma vie. Mais « faire » n’est pas synonyme d’« accomplir ». Et ce que je veux accomplir, je le sais. Je sais aussi que j’y arriverai seulement si je me donne assez de temps.
 
Avez-vous l’impression d’être lentes ou d’avoir un rythme différent de celui de votre entourage? Comment vivez-vous ça?

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