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Ramenez les « philosophesses », les « médecine » et les « peintresses » : quand la langue française fait disparaître les femmes – Partie 1
Crédit: Irina Bg/Shutterstock
Je dois avouer, il y a quelques années à peine, j’étais le premier à trouver plutôt ridicule les débats entourant la féminisation des propos et les remises en question des structures de la langue française.

Après tout, des experts s’occupaient de la structure de la langue. En quoi le fait que le masculin l’emporte sur le féminin à l’écrit posait-il problème, me disais-je ? Ce n’était que des règles de grammaire, c’était comme ça, parce que la langue française était « faite comme ça depuis toujours », que de toute façon, j’avais appris à écrire comme ça depuis que j’étais petit, pourquoi est-ce que je devrais tout d’un coup me casser la tête à féminiser mes propos ou à remettre la langue en question? 
Les gens qui voyaient dans la structure de la langue une quelconque offense, un manque de respect, ou pire encore, une forme de violence envers les femmes, devaient être des extrémistes qui s’énervaient pour un rien…

Pourtant, aujourd’hui, j'ai changé d'avis et je suis rendu sensible à ces questions, voici pour vous certains éléments de réflexions qui ont transformé mes perceptions et m’ont fait changer mon fusil d'épaule :

 L’académie de la langue française et le sexisme
 
En ce qui concerne la langue française, sa structure et ce qui est considéré comme « acceptable » ou non, l’académie de la langue française fait figure d’expert et de chef de file.

Un article très intéressant est justement paru dans le journal Le Devoir il y a quelques semaines, où l’on nous présente le travail de recherche d’Éliane Viennot et de son équipe, qui signe un pamphlet scientifique revendicateur : L’Académie contre la langue française.
 
On apprend entre autres que l’académie a toujours été très réfractaire aux changements et a fait preuve de décisions incohérentes et misogynes au fil des années.

Celle-ci a travaillé à faire du masculin le genre grammatical devant lequel l’autre devait, soit montrer sa soumission, soit disparaître purement et simplement depuis des années, ne tenant pas compte de l’évolution de la société française ni des particularités et évolution des autres sociétés francophones.
 
Aucune femme n’a été admise au sein de l’académie avant 1980, et preuve du conservatisme et du sexisme décomplexé de cette institution, l’académicien Pierre Gaxotte tenait en 1980 ses propos peu gracieux : «Si on élisait une femme, on finirait par élire aussi un nègre.» *soupir*. Encore aujourd’hui, en 2017, sur 36 membres occupant un siège à l’académie, seulement 5 sont des femmes. Disons qu’on est très très loin d’un semblant de parité.

 
L’académie a aussi été très active en ce qui concerne l'opposition à la féminisation des noms. D’ailleurs, vous êtes-vous déjà demandé pourquoi certains mots n’ont pas leur équivalent féminin? Pourquoi, par exemple, on disait « un ou une médecin », « un ou une philosophe », « un ou une peintre »?
 
C’est simple, parce que les bonzes de l’académie ont un jour décidé que le masculin suffisait, car de toute façon, les femmes étaient indignes de certains emplois ou occupations, qui devraient être réservés aux hommes.

Pourtant, dans l’ancien français, les termes « médecine », « philosophesse » et « peintresse » existaient et étaient acceptés. On accepte très bien la structure grammaticale de «prince/princesse», mais pas «philosophe/philosophesse», plutôt condescendant et un peu ridicule, vous ne trouvez pas?
 
Quand la langue française fait disparaître les femmes

Lorsque j’étudiais à la maîtrise en Histoire ancienne, ma superviseure de maîtrise nous a mis en garde plusieurs fois en ce qui concernait les erreurs d’interprétations historiques liées aux erreurs de traduction, parfois présente dans certains textes traduits du grec ancien au français.

C’est bien simple, certains termes qui impliquaient des femmes n’avaient simplement pas d’équivalent en français, et étaient donc traduits au masculin, puisqu’on respectait la structure grammaticale qui veut qu’au pluriel, le masculin l’emporte sur le féminin.
 
OK, mais ça change quoi ?

Ça pouvait ni plus ni moins faire disparaître les femmes de l’histoire et dresser un portrait erroné de la réalité des sociétés de l’époque. Encore aujourd’hui, cette particularité de la langue française a fait que, dans certaines situations, les femmes peuvent se retrouver sous-représentées, voire carrément effacées des écrits, ce qui est plutôt étrange dans une société qui se veut égalitaire.

Un exemple fictif concret :
Disons par exemple que 150 femmes philosophes et un homme philosophe ont tenu une réunion pour parler d’enjeux importants le 8 janvier 2017. En français il n’y a pas de terme différent pour désigner une femme philosophe d’un homme exerçant le même métier. Comme le masculin l’emporte sur le féminin, pour décrire la situation, on utilisera la phrase suivante : « Les philosophes se sont rencontrés le 8 janvier 2017 pour une réunion historique », parce qu’il y a au moins un homme présent.  Grammaticalement, cette phrase est tout à fait correcte, mais ne trouvez-vous pas que quelque chose cloche?

Bien que la situation décrite représente 150 femmes et seulement un homme, l’ensemble de la phrase est écrit au masculin. Alors que dans d’autres langues, on pourrait utiliser un terme neutre désignant les deux genres ou encore le féminin et le masculin pour une telle situation (par exemple  « les philosophesses et le philosophe se sont rencontrés… »), avec la structure actuelle de la langue française, dans cette situation, c’est impossible.
 
Le lecteur n’a donc aucun moyen de savoir qu’il s’agit ici majoritairement de femmes si l’on ne donne pas plus d’informations. On peut même facilement croire qu’il s’agit uniquement d’hommes, les femmes, dans cette situation, sont tout simplement effacées par la langue française. Quelque peu inégalitaire n’est-ce pas?

P.-s. Une suite à cet article sort demain!
                                                  

 

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