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J’étais occupée

Auteur: Annie Nonyme
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J’étais occupée
Crédit: Avigator Thailand/Shutterstock

En janvier dernier, c’était la semaine de la prévention en santé mentale. J’ai toujours adhéré à cette cause, mais sans en mesurer l’impact réel. Oui, les dons sont très importants, mais ce sont surtout les questionnements soulevés par le bombardement de messages de sensibilisation qui font une différence. Pour ma part, cela m’a permis de vivre une importante prise de conscience. J’espère que d’autres s’y identifieront, et décideront, comme moi, qu’il est temps de s’aider pour pouvoir mieux avancer, et que cela ne fait pas de nous des personnes faibles, au contraire.
 
J’étais occupée
 
On est vendredi après-midi, ma semaine d’université vient de finir et j’ai passé au travers de ma semaine sans trop de difficultés malgré les 300 imprévus qui me sont tombés sur la tête. J’arrive à mon appartement, mes colocs sont partis pour la fin de semaine, et je décide de rester pour étudier.
 
Une amie me texte pour savoir si je veux sortir le soir même, je lui réponds que j’ai eu une grosse semaine et que je risque de me coucher tôt pour avoir une journée productive le lendemain. On se reprendra un soir quand je serai moins occupée. Ce que je ne dis pas, c’est que j’ai envie de sortir, mais qu’une boule au fond de mon estomac ne me lâche pas. J’hésite entre pleurer, me coucher pour fuir ce malaise ou boire trois espressos pour ne pas dormir et étudier. J’ai tellement peur de manquer de temps, je suis tellement occupée. 
 
Je me fais à souper, puis je m’installe devant mes notes pour réviser. J’ai envie de sauter de ma chaise après 5 minutes. J’ai mal au cœur et je ne m’endure pas. Je vais prendre une douche. Après 30 minutes à laisser l’eau réchauffer mon corps qui me semble si lourd, je finis par sortir. Je me sens écrasée, la tête me tourne de plus en plus, je perds pied. Je m’installe devant la télé, un épisode sur Netflix, ça va me retaper.
 
Après quelque temps, mon esprit ne me semble plus aussi à vif. Je songe à retourner étudier. Un simple regard et mon cerveau s’enflamme aussitôt. J’abandonne pour ce soir. Minuit passé, mon esprit assommé par les inepties télévisuelles ne s’agite plus autant, je me traîne jusqu’à mon lit et m’effondre en m’allongeant, aspirée dans un sommeil distordu et sans véritables rêves.
 
Le lendemain, une alarme me réveille à 10 h. Je n’ai pas la force de me lever. Au diable l’étude, j’en ferai davantage ce soir. 13 h passé, je réussis à m’extirper de mon lit. Le temps de faire quelques tâches ménagères, la fin de journée arrive rapidement. Le téléphone sonne, un ami veut qu’on se fasse un souper. On le mérite bien après avoir passé notre samedi à étudier, qu’il me dit.
 
Culpabilité. La boule revient, la tornade qui fait rage dans mon cerveau recommence à gronder. Je reprends mes esprits et lui dit que je suis désolée, mais que je suis trop occupée cette semaine, qu’on remet ça. Pour me calmer, je me cuisine un souper digne de Pinterest. Ça m’occupe les mains et l’esprit, et le calme revient. Je pense alors que j’ai oublié de corriger la lettre de motivation d’un ami, que je dois envoyer des courriels et que ma mère m’a demandé un service que j’ai oublié de faire. J’étais trop occupée. Une fois que c’est fait, j’envoie le tout en spécifiant à tout le monde que je suis désolée du retard, j’étais débordée. Avec tout ça, c’est l’heure de se coucher. Demain ce sera la bonne.
 
Dimanche. Alarme. Snooze. Lever à 13 h. Nausées. Respirer. Appel hebdomadaire à ma mère. Conversation pesante. Tourbillon… C’est le jour de la marmotte, j’ai l’impression de revivre la même journée pour la 10e fois. Exaspérée, j’ouvre mon agenda et la réalité me frappe. Il est pratiquement vide. Je ne suis pas plus occupée que je l’étais pendant les fêtes, ou durant les vacances d’été où je travaille à deux endroits à la fois. J’ai des semaines bien remplies. Mon programme universitaire est compétitif et très demandant, mais j’ai toujours su gérer.
 
Mais à quoi suis-je tellement occupée? Qu’est-ce qui m’accapare tellement que je n’ai plus le temps de faire quoi que ce soit qui me rend heureuse? Je suis occupée à paniquer, à angoisser et à gérer ce qui me tétanise simplement pour être capable de mettre un pied devant l’autre.
 
J’avais l’habitude d’être occupée à me bâtir un avenir, des souvenirs et des expériences. Maintenant, j’ai l’impression que je suis occupée à survivre, à ne pas céder à l’angoisse. Ce sentiment s’est insinué dans ma vie, comme un amant abusif auquel on accorde tout ce qu’on a de meilleur et qui ne nous donne en retour que des larmes et des regrets.
 
Demain, je vais me rendre à l’université et assister à mon cours. On va me demander comment a été ma fin de semaine, ce que j’ai fait. Je vais sourire, leur dire que tout a bien été, que je m’excuse de m’être isolée, mais j’étais tellement occupée. 

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