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La fois où mon amoureux m’a violée
Crédit: champ_nitirak/Shutterstock

Une fois, j’ai fait un truc que mon chum n’a pas aimé. On s’en fout de ce que c'est, il ne s'agit pas de ça. L’histoire, c’est plutôt ce qui est arrivé après. Même si ça m’a pris des années pour le comprendre, rien n'aurait pu justifier la suite.

Cette nuit-là, je pensais qu’il allait me quitter. En fait, j’en étais certaine, et je me sentais dévastée. Après m’avoir ignorée toute la journée, il a posé sa main sur ma taille. Il a approché son corps du mien, puis a installé son menton dans le creux de ma nuque. Il m’a embrassée, tendrement. L’anxiété, qui m’avait rongée des heures durant, a fondu. Je me suis dit que la chicane était terminée. Mon corps tremblait d’incertitude et de soulagement. Je l’aimais.

Il était doux. Ça me rassurait. Je pensais que c’était pour mettre la chicane de côté.

– Mes doigts se figent sur le clavier. Quand je me suis proposé de raconter cette histoire, j’avais le sentiment d’être prête. C’était il y a plusieurs années. C’est une relation maintenant terminée. Puis, quand c’est le temps d’écrire les mots, c’est soudainement douloureux. –

Douloureux d’écrire que durant la relation sexuelle, son attitude a changé de façon radicale. Qu’il est passé de doux à agressif. Qu’il m’a prise au cou, a serré fort, m’a dit que j’étais une criss de vache. J’ai figé. J’ai eu peur. Peur de lui. Peur que ce soit « pire ». Pire comment? Je ne sais pas. Je pense qu’à ce moment, je n’ai pas réalisé ce qui se passait. Son visage était brutal, son regard menaçant. Il me prenait violemment et j’avais mal. J’avais l’impression qu’il marquait son territoire, qu’il me réclamait comme sienne, alors que je n'appartiens à personne. J’ai eu le sentiment qu’il me punissait. Qu’en un sens, c’était le prix qu’il me faisait payer pour notre chicane, parce que je n’avais pas agi comme il le voulait.

Ça s’est terminé. L’ambiance était lourde et on ne parlait pas.

J’ai brisé le silence en demandant de ne plus jamais me traiter de vache. Ma voix était vide. Il a dit « okay ». Les larmes sortaient toutes seules, je me suis retournée. Dans ma tête sans son, sans image, c’était à la fois saturé et creux. Je ne sais plus combien de temps j’ai mis à dormir, ni même si j’ai dormi, tout simplement.

Plusieurs fois, j’ai voulu revenir sur ce qui s’était produit cette nuit-là. Chaque fois, il a empêché la discussion. J’ai abandonné après un moment. Il me répétait assez que je lui tapais sur les nerfs, que je cherchais des bibittes. Je me suis tue. Je crois que c’était ce qu’il voulait. Il l’a eu.

Je n’ai pas raconté cette histoire souvent. Quelques fois, mais pas toutes, le scepticisme l’a accueillie. On m’a dit que, peut-être, c’était seulement un manque de communication, pas une agression. Mine de rien, je sais maintenant que je suis la mieux placée pour le savoir. J’étais là, je l’ai vécu. J’ai été 5 ans dans cette relation. Suis-je en train de me justifier? Peut-être. J’aimerais mieux pas, mais à force de faire douter de soi, c'est souvent la conséquence qui en résulte. Ce besoin d’assurer aux autres que nous sommes crédibles, que notre voix est réelle, que ce n’est pas notre imagination qui s’enflamme. À force de faire douter de soi, on finit par douter de nous-mêmes. Mais je ne doute plus. Du moins, pas souvent.

Je sais qu’il a calculé son coup. Qu’il s’est présenté à moi doucement, a obtenu mon consentement puis l’a utilisé contre moi en changeant subitement son comportement. Il s’est servi de mon silence, mon absence de réponse, ma peur et ma paralysie pour se déresponsabiliser, pour m’empêcher de nommer cette relation par son nom réel : une agression. Un viol. Par mon amoureux.

J’ai fait semblant longtemps. Semblant que ce n’était pas arrivé, ou que ce n’était pas si pire. Qu’il n’avait pas voulu. Que la douceur n’avait pas été instrumentalisée comme une vulgaire stratégie pour m’amener à partager mon corps pour mieux le briser.

C’est arrivé le lendemain de ma fête. Chaque année, en soulignant mon anniversaire, je pense à lui. Je n’oublierai jamais la date et les nausées, et aussi que, parfois, les monstres dorment sur le lit. 
 

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