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Non, le Chili n’est pas un pays riche!
Crédit: Elizabeth Dupont

Je vous ai déjà raconté que j'ai connu le Chili par le bas de la pyramide. J’ai d’abord vécu dans la partie très pauvre de Santiago en 2015. C’est beaucoup plus tard, soit en septembre 2016 que j’ai découvert la partie riche de la métropole chilienne, ces quartiers qui n’ont rien à voir avec l’Amérique latine ni même la ville que j’avais connue auparavant.

Cela s’explique par les très grandes inégalités qui règnent et ne cessent de s’accroître depuis le coup d’État de 1973 qui a permis d’implanter de force un système néolibéraliste. Eh oui, le même dont on entend parler au Québec ces années-ci. En fait, le Chili est reconnu comme le laboratoire néolibéral par excellence puisque cette politique y a été implantée sans aucune opposition en raison de la dictature militaire. Mais ça, c’est une autre histoire, j’y reviendrai dans un autre article. (En attendant je vous recommande l’excellent documentaire La stratégie du Choc de Naomi Klein, une auteure Canadienne qui vulgarise très bien le sujet.)

Pour résumer, une partie de la classe supérieure s’enrichit et s’américanise pendant qu’une autre est de plus en plus pauvre et endettée. Pendant ce temps, le coût de la vie ne cesse d’augmenter parce que les riches sont de plus en plus riches. Par exemple, il y a d’un côté ceux qui doivent marcher ou emprunter les autobus bondés sans pouvoir payer leur passage à 1,40 $ CAN et ceux qui circulent en voiture de luxe de l’année sur les autoroutes payantes très bien entretenues. Il y a aussi un système de cotation pour la santé, les cliniques privées avec d’excellents services rapides et très chers et les urgences des hôpitaux populaires qui débordent. C’est frappant! Malheureusement, le Québec semble prendre la même direction.

La classe moyenne n’existe pas vraiment. Je me souviens quand ma famille d’accueil de La Pintana m’avait demandé à voir des photos de ma maison, un bungalow bien normal du Bas-du-Fleuve. Pour eux, cela était synonyme d’une extrême richesse. J’essayais tant bien que mal de leur expliquer que oui, j'étais très privilégiée, mais aussi que pour le Québec, je n’étais pas une personne vraiment riche, pas plus que mes parents. Mais l’écart entre la photo et leur réalité était si immense qu'ils n'arrivaient pas à comprendre comment c'était possible. Et je comprenais très bien leur réaction!

Voici de quoi avait l'air la vue de ma chambre à la Pintana en 2015. C'est l'un des nombreux quartiers populaires de Santiago.
Crédit : Elizabeth Dupont

Ici, très injustement, les classes sociales se voient, la majorité du temps, selon les couleurs de peau. Plus une personne a la peau claire, plus les chances sont élevées qu’elle soit issue de la classe aisée, mais plus elle a la peau foncée, plus ses chances d'être aisée sont basses. Une dure réalité…

Et là, je ne parle même pas des autochtones, les Mapuches qui sont à des années-lumière des quelques progrès de reconnaissance faits pour les premières nations au Canada.

Il est évident que de mon côté, j’ai la peau très claire. Je passe relativement inaperçue quand je circule dans les quartiers plus nantis. Mais quand je suis dans des secteurs plus populaires, on remarque de loin que je suis une étrangère ou une « gringa » (riche). Je sais que je dénote, mais le Chili que j’aime, c’est celui-là. Pas celui des quartiers huppés.
Ces énormes tours me rappellent davantage l'Amérique du Nord que le Chili.
Crédit : Elizabeth Dupont

Je déplore que certains étrangers viennent ici pour travailler ou étudier en agissant comme des gringos sans jamais s'intéresser réellement à la culture. Je pense par exemple à ceux qui ne parlent qu’anglais et qui ne se forcent pas à apprendre l’espagnol.

Ça me choque d'entendre certains étrangers parler du Chili en termes de pays développé et riche quand ils n’ont jamais mis les pieds dans d’autres quartiers. Il me semble que pour venir vivre au moins six mois dans un pays, s’intéresser à la vraie réalité et surtout la vraie culture populaire de l’endroit enrichit de beaucoup l’expérience. Parce que non, dans les quartiers huppés, il n’y a pas de vendeurs ambulants ni de mendiants dans les rues… Il est difficile de trouver un petit restaurant populaire chilien, il n’y a que de grandes chaînes ou des restaurants de style européen ou nord-américain. Et pourtant, nous sommes au Chili!

Ça me dérange de me déplacer chaque semaine dans les quartiers huppés pour donner des cours de français à des Chiliens plus nantis alors que des jeunes des quartiers défavorisés auraient besoin de cours d’anglais volontaires pour ne pas décrocher. Mais je dois gagner ma propre bouchée de pain, alors en attendant de pouvoir donner à nouveau de mon temps, je dois continuer à aller jouer la gringa chez les riches… Et essayer de ramener sur terre ceux qui pensent que « le Chili est un pays riche et développé pas si pauvre que ça »…

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