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Je le laisse partir

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Je le laisse partir
Crédit: Jean Gerber/Unsplash

On m’a conseillé d’écrire une lettre et de la brûler, mais non. Je ne peux pas me taire encore une fois. La petite fille en moi a besoin d’être entendue. Parce que je sens que je ne l’ai jamais été. En tout cas, pas par lui.

Parce que j’ai maintenant assez d’estime pour moi pour me demander comment il n’a pas su voir la petite fille adorable que j’étais, et la femme extraordinaire que je suis devenue. Une femme remplie de bonté, de générosité, d’affection, qui a su se débrouiller toute seule à cause de répercussions familiales. Une fille qui a été forcée de grandir trop vite, qui gérait un petit job de dépanneur quarante heures semaines à 16 ans et qui payait ses factures. Il me semble qu’il y a de quoi être fier!

J’ai tellement grandi à travers nos différends. J’ai souffert, j’ai pleuré. J’ai tellement voulu qu’il puisse comprendre comment je pouvais me sentir. J’ai tenté de combattre le fait qu’il ne soit pas le père affectueux, aimant et présent dont j’avais besoin dans ma vie. J’ai essayé que ça ne m’affecte pas, que ça ne m’envahisse pas. Mais son absence quand j’étais toute petite a créé une profonde blessure d’abandon dans mon cœur.

J’ai dû en être malade pendant deux ans pour réaliser ce qui me permet d’être heureuse aujourd’hui, au quotidien : je ne peux pas être comprise et aimée de tous, je ne suis pas obligée d'entretenir une relation avec qui que ce soit, même si on est de la même famille, j'impose et je respecte mes limites, je ne cherche plus à plaire ou à être validée, et mes valeurs, j'en suis fière.

Ce qui m’aura fait souffrir petite m’aura solidifiée plus grande. Ça m’aura aussi permis de prendre ma place et de me faire respecter.

J’ai tenté une dernière fois. J’ai pris tout le courage du monde pour lui téléphoner et lui dire que je l’aimais et qu’on était plus forts que ça. Qu’on pouvait discuter et s’entendre. Qu’une vie, on en avait une seule. Et comme depuis toutes mes années d’existence, il m’a rejetée. Il a choisi son ego blessé au lieu d’ouvrir son cœur, reconnaître sa part de tort et profiter de la chance de rétablir une relation saine.

J’ai donc choisi de ne plus souffrir et de grandir.

Toute petite, je ne demandais que de l’amour, un peu de temps pour qu’on joue ensemble et qu’on discute. Qu’il me complimente et me dise que je suis belle. Qu’il me demande mes opinions sur des sujets. Que je ressente la fierté d’un père. De l’amour simple et pur. Qu’il soit là, présent. Que j’aie des souvenirs de nous ensemble autres que ceux des disputes et des cris qui régnaient dans la maison.

Adolescente, j’aurais aimé qu’il détecte mes signaux d’alarme de jeune femme en manque d’amour et d’attention. Qu’il ne me voit pas comme une personne à problèmes parce que je prenais de la drogue et que je fréquentais des hommes plus vieux. 

Je suis partie tôt de la maison, car je me sentais de trop. Si mon enfant voulait partir à 16 ans, je chercherais la cause. Je saurais que quelque chose ne va pas. Je voudrais le protéger de la vie adulte.

Adulte, je n’en pouvais plus qu’on parle encore et encore de météo et d’argent. Je n’en pouvais plus que lorsque j’affirmais mes visions de la vie, elles étaient toujours vues de manière négative, intense. Qu’au lieu d’aider son enfant en dépression, il me juge. Qu’il refuse d’écouter mes blessures en calculant les bons coups qu’il a faits (ce qui, malheureusement, n’efface pas les manques). Mais peu importe, j’ai compris il y a longtemps qu’il n’était pas prêt à briser son gros mur de béton, que peu importe les mots que j’utiliserais, ce serait toujours perçu comme une attaque. Qu’il me percevrait toujours comme un fardeau, une femme trop intense et trop fragile.

Le jour où mes enfants m’ont dit qu’ils trouvaient que je criais trop, j’ai été chercher de l’aide. J’aurais bien pu mettre le blâme sur eux en leur disant que s’ils écoutaient, ça n’arriverait pas. Je n’ai pas cherché à avoir raison. J’ai reconnu leurs sentiments. J’ai accueilli leurs blessures. J’ai choisi de m’aider, de briser un pattern familial, car j’étais prête à tout pour le bonheur de mes enfants. 

L’important, ce n’est pas de chercher qui a raison ou qui a tort, l’important, c’est d’accueillir l’autre. D’écouter son ressenti. D’accepter qu’on ait pu se tromper, qu’on ait pu blesser. Ensuite de s’exprimer nous aussi, à cœur ouvert et à garde baissée. Travailler la relation quand elle est importante à nos yeux, et non pas la fuir.

Malheureusement, on ne partage pas tous les mêmes valeurs et « ce qu’il a pu » n’était pas suffisant pour faire de moi une personne qui se sentait aimée, appréciée et valorisée.

Je n’ai plus besoin qu’il soit fier de moi maintenant, parce que moi, je le suis, et ça me suffit.

Mme. B

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