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J’ai dénoncé le boysclub et c’est moi qui écope
Crédit: Calum MacAulay/Unsplash

La semaine dernière, Stéphanie Boulay a fait paraître une lettre sur son blogue, à travers laquelle elle dénonce entre autres la culture Boysclub qui domine depuis longtemps le milieu de la musique au Québec. Touchant et poignant de vérité, son texte me travaille beaucoup depuis que j’ai eu la chance de le lire.

Premièrement, parce que j’ai beaucoup d’admiration et de compassion pour elle, et que je salue son courage. Parce que, particulièrement pour les femmes, à l'ère des médias sociaux, dénoncer quelqu’un ou quelque chose, c’est aussi s’exposer à l’opinion blessante de tous ces gens qui, vautrés au fond de leur salon et bien cachés derrière leur photo de profil abstraite, semblent confondre liberté d’expression et attaques personnelles. Et leur opinion devient particulièrement virulente lorsqu’il s’agit de dénonciations reliées à des agressions sexuelles (on se rappelle entre autres de l’histoire d’Alice Paquet). Je ne sais pas quand et pourquoi ces gens-là ont décidé que les femmes n’avaient ni le droit de dénoncer ni le droit de souffrir ni à quel moment ils ont reçu leur badge « D’avocats du Diable » par la poste. Mais je sais que, bien qu’au fond leur opinion n’a aucune valeur, elle fait mal quand même, elle s’ignore difficilement, et elle peut décourager beaucoup de personnes qui voudraient, elles aussi, dénoncer l’injustice à laquelle elles se heurtent.

Deuxièmement, c’est d’un côté plus personnel que son témoignage est venu me rejoindre. Parce que je travaille dans le même domaine, et que moi aussi, je l’ai dénoncé, le Boysclub, en portant plainte contre un collègue de travail, un gars du milieu. Moi aussi, on m’a agressée, touchée sans mon consentement. On a banalisé mes plaintes, on a essayé de me faire taire, on a essayé de me faire croire que c’était moi le problème, que c’était « pas si pire que ça », que je l’avais voulu, cherché, on a parti des rumeurs à mon sujet. Et le boy en question a été acquitté, cru et appuyé par la compagnie pour laquelle je travaillais, en plus d’être réintégré à l’équipe sans conditions spéciales ni conséquences, malgré le fait que sommes quatre femmes à avoir déposé une plainte contre lui.

J’ai dû quitter mon emploi pour m’éviter le stress de le recroiser, lui qui était mon supérieur hiérarchique. N’ayant pas droit au chômage, je jongle depuis avec le sentiment d’injustice, la colère, la peine et la honte reliée à toute cette histoire, trouvant difficilement la force de réintégrer à temps plein le marché du travail.

Je me suis souvent demandé si j’avais bien fait de dénoncer. Parce que oui, parfois je regrette. Je me demande ce que tout ça a bien pu m’apporter, mis à part m’isoler et changer ma vie du jour au lendemain. Qu’est-ce que ça m’a donné si ce n’est que de me faire perdre un emploi que j’étais une des rares femmes à occuper à Montréal, voire au Québec, après avoir réussi à me creuser une petite place au sein du Boysclub contre lequel je n’avais définitivement aucun pouvoir, même celui de faire valoir mes droits les plus fondamentaux? À part me faire découvrir la face cachée de certains collègues qui, lorsqu’on en a parlé, m’ont dit qu’ils donnaient le « bénéfice du doute » à cet agresseur ou qu’ils me croiraient « quand un juge m’aurait donné raison »?

Je le regarde encore aller de loin, cumulant les projets, continuant d’être au top de sa carrière, n’ayant jamais à se demander s’il a assez d’argent pour payer le loyer. Rien de toute cette histoire ne semble lui avoir nui outre mesure. Et tristement, plusieurs femmes sont venues me confier qu’elles avaient elles aussi été agressées par cette personne. Avant ou après moi. Il continue. Rien pour m’aider à panser mes plaies.

Tout comme ses autres victimes, ce n’est pas moi qui aie touché sans consentement. Jamais je n’ai jonglé avec sa dignité ou celle de qui que ce soit. Jamais je n’ai été agressive physiquement envers mes collègues. Mais c’est moi qu’on a isolée, punie. Pourquoi?

Donc à toute ces personnes bien installées dans leur lazy boy à commenter la sortie de Stéphanie Boulay, à toutes ces personnes qui s’insurgent contre l’appellation Boysclub, à vous qui n’avez autre chose à faire que de commenter sur des injustices que vous ne vivrez jamais vous-même : soyez prêts. Parce que même si ça fait mal de se faire silencer, remettre en question, ça ne nous empêchera pas de continuer à dénoncer. Parce qu’il faut que ça change. Et ce n’est pas en lançant des fleurs et de l’amour à nos agresseurs que ça va arrêter.

Bravo encore une fois, Stéphanie.

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