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Payer cher au Dollar Store : une histoire d’harcèlement au travail
Crédit: paulbr75/Pixabay

*À noter que tous les noms dans le texte ont été modifiés.

J’étais troisième clé dans un magasin 1 $, ce qui signifiait que j'occupais un rang avec une certaine autorité sur mes collègues de travail. Je n’ai jamais été forte forte sur l’autorité. On m’a souvent dit que j’avais même un problème avec elle. Traduction libre : j’avais un sale caractère. On ne m’en imposait pas. Si quelque chose ne faisait pas de sens ou était injuste, je le criais haut et fort.

J’ai eu ce poste grâce à une gérante douce et compréhensive : Christine. Il se trouve qu’elle avait déjà été agressée dans un stationnement. Elle voulait que nous soyons prudent.e.s quand nous sortions le soir. Ce qu’elle ne savait pas, c’est que pour moi, ce ne serait pas le stationnement qui serait un lieu d’agression, mais là où j’étais censée me sentir en sécurité, à mon travail.

Tout commença lorsque Gabriel fit entrer son ami dans l’entreprise. Je me fis rapidement amie avec Luc qui, tout comme Gabriel, effectuait les tâches que je lui donnais s’en rechigner. Un jour, Luc et moi étions en train de monter un mur. D’un coup, il se met à me dire qu’il me trouve pas mal cute, surtout quand je ris. J’étais flattée. Je me souviens lui avoir dit : « T’avais pas une blonde? » et qu’il m’ait répondu : « Ouais, mais ça fait plusieurs fois qu’elle me trompe. Je l’aime, mais je lui fais pu confiance. » J’ai trouvé ça triste et j’ai sympathisé.

Luc a continué à me faire plein de compliments. C’était doux. C’était rassurant. Il me disait que j’étais intelligente, que je pouvais retourner aux études si je le voulais, que je méritais quelqu’un de bien. Un jour, il m’a dit que j’avais un cul d’enfer. J’ai dit « Okay. ». Je me souviens d’avoir dit ça parce que je n’étais pas habituée à me faire complimenter. J’étais une fille-huître.

Une autre fois, Luc m’a tapé le cul pendant que j’étais dans une échelle. J’ai eu la peur de ma vie et je suis tombée. Il m’a rattrapée en riant. Je lui ai demandé si c’était le genre de truc qu’il faisait à Gab (en voulant dire que tu ne fais pas ça à tes ami.e.s), mais il m’a répondu que oui, qu’il faisait ça à tout le monde, qu’il espérait ne pas m’avoir froissée, qu’il ne recommencerait plus. Il a recommencé.

Il m’agrippait le cul et me serrait dans ses bras. Je me demandais comment faire pour repousser quelqu’un sans que notre amitié en prenne un coup. J’avais de plus en plus peur de me rendre au travail quand il était là. J’étais inconfortable en sa présence.

Un jour, je n’en pouvais plus. J’ai décidé d’en parler à Christine. Je lui ai dit que j’aimais bien Luc, mais qu’il se passait des affaires avec lesquelles je n’étais pas à l’aise. Elle m’a demandé quoi, attentive, posée. Je n’ai pas su tout dire par peur du jugement, par peur qu’on croit que j’exagère. J’ai juste dit : « Il me claque parfois le cul. » Elle est devenue verte de colère. Elle est sortie du bureau comme une furie. Je l’ai suivie, la tête basse. Elle l’a trouvé et lui a dit qu’elle ne voulait plus jamais le revoir dans le magasin, même pas en tant que client.

J’ai pleuré. Christine m’a dit que ça s’appelle du harcèlement sexuel au travail et qu’elle ne tolérerait pas ça. Je ne pleurais pas parce que j’étais enfin délivrée, mais parce que j’avais en quelque sorte contribué à jeter un employé et un ami dehors. J’avais honte. Je me suis même demandé si je n’avais pas pu juste continuer à supporter ses avances… si je n’avais pas pu être plus claire avec lui. Je ne lui avais jamais dit oui, mais est-ce que je lui avais clairement dit non?

Quand Gab est rentré le lendemain, il était en tabarnac contre moi. Il m’a shooté que jamais Luc n’aurait continué s’il avait su que ça ne me plaisait pas. Ça m’a mise à l’envers, mais je n’en ai rien laissé paraître.

Luc est revenu faire son tour une couple de fois quand Christine n’était pas là. Je n’osais jamais appeler la police comme elle me l’avait conseillé. Il restait à une certaine distance de moi à me parler de ce qu’on aurait pu être ou faire si j’avais seulement su être plus authentique avec lui. Finalement, il a arrêté de passer au travail. J’ai longtemps continué à avoir honte et à me sentir lâche d’avoir parlé.

Je ne remercierai jamais assez Christine pour son support, de m’avoir protégée malgré moi et de m’avoir défendue auprès des employé.e.s en disant que ce n’était jamais la faute de la victime, mais toujours de celui qui se croyait tout permis. Elle m’a appris que sans oui, c’est non. Peut-être que Luc l’a appris lui aussi… Sait-on jamais. Aujourd’hui, avec du recul, je sais que j’avais pris la bonne décision. Et je sais que même les têtes fortes comme la mienne ne sont pas immunisées contre les agressions.

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