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J’étudie dans un domaine «inutile», et je le vis bien!
Crédit: Chester Alvarez/Unsplash

Quand j’ai annoncé à mon entourage que je lâchais mon bacc en psychologie pour me consacrer à la philosophie, j’ai bien sûr eu droit à beaucoup de « Mais tu vas faire quoi avec ça? » et de « À quoi ça sert, la philosophie? » Ma réponse était simple : « Je vais commencer par faire quelque chose qui me passionne, et après, on verra où ça me mène. » Cette mentalité, qui met « l’utilité » à l’avant-plan, n’est pas présente qu’aux partys de Noël, elle est présente jusque dans les domaines traditionnellement considérés comme « inutiles », comme le mien. Même en philosophie, nombre de campagnes essaient de revaloriser ce domaine d’études en affirmant que la philosophie est en fait utile, et pourquoi. Selon moi, cela est, ultimement, une erreur : au lieu de s’interroger sur ce mode de pensée et de le critiquer, on en reste prisonniers et prisonnières.

Personnellement, mon expérience avec mon changement de domaine m’a amenée à m’interroger sur la notion même d’utilité : c’est quoi, au fond, faire quelque chose d’utile? Souvent, on va entendre que l’utilité, c’est faire quelque chose pour la société, pour améliorer des vies. Cependant, si cela est notre critère d’utilité, il est soit trop difficile à satisfaire, soit trivial. D’un côté, s’il s’agit simplement de faire une différence positive dans la vie des gens peu importe l’intensité, alors tout le monde est utile, car nous faisons pas mal tous.tes des actions positives autour de nous dans nos vies. En ce sens, aussi, c’est plus une question de vie personnelle que d’emploi ou d’études. Par contre, si notre critère est plus sévère et qu’il faut faire des changements de grande amplitude dans la société, cela est donné à bien peu de gens, alors ce serait un critère un peu trop sévère, puisque presque personne ne pourrait le remplir.

Par ailleurs, l’utilité est très difficile à mesurer. On peut voir certains cas clairs : c’est sûr qu’une personne qui trouverait un remède infaillible au cancer serait « utile ». Mais dans la plupart des cas, comment quantifier notre impact sur le monde? Peut-on connaître toutes les conséquences de nos actions? Peut-être qu’une action aussi anodine que d’acheter un café a donné du tip à une personne qui en avait besoin et lui a permis d’avoir les quelques dollars qui lui manquaient pour payer son loyer, tout comme il est possible que de l’argent donné à une personne ait servi à lui procurer un billet d’avion, et que cette personne périsse dans un écrasement d’avion. Bref, ce n’est pas simple de quantifier les effets de nos actions.

Et en plus, serais-je vraiment plus utile à la société si je faisais une formation qui me rend malheureuse? Ne suis-je pas plus utile si je me voue à ma passion et que je contribue à éveiller en d’autres une même passion? Selon moi, faire quelque chose d’utile veut aussi dire faire quelque chose d’utile pour soi-même. La vie est courte et je tiens à faire ce qui me passionne : c’est utile pour moi, comme moyen de me donner une vie que j’apprécie et qui a du sens pour moi. Et à ce compte-là, la distinction entre les domaines d’études plus « utiles » et plus « inutiles » est… inutile! De toute manière, juger de la valeur de la vie d’une personne par son utilité, je trouve ça réellement outrageux. Les vies humaines n’ont pas une valeur conditionnelle, et je pense aussi que ce n’est pas tout le monde qui a les capacités physiques, économiques ou mentales pour « changer le monde »; ça prend de l’argent, de la stabilité, et de la santé, tous ces gros projets. Alors je refuse de classifier les gens comme « utiles » et « inutiles », car je pense que ce n’est pas mesurable, et que de toute façon, ce n’est pas éthique. Je refuse de me plier à ce standard d’utilité qui cause, au final, beaucoup de honte et de souffrance à bien des gens.

Aux yeux de la société, je suis « inutile », et je le vis bien.

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