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Le monde de la mode va peut-être changer (pour le mieux), mais ça sera compliqué
Crédit: ILO in Asia and the Pacific/Flickr

Je travaille en design de mode depuis onze ans. En tant que fille à qui l'on a pas mal toujours attribué l’étiquette de « grano-écolo », mon cœur a toujours été partagé entre mon amour pour la job en soi, le côté créatif de la chose et l’aspect éthique du domaine, qui est LARGEMENT à travailler. Je ne m'en cache pas, ma job dans le vêtement de sport actif, possiblement l’un des secteurs les plus polluants dus aux nombreux produits chimiques utilisés pour augmenter la performance, la durabilité, l’imperméabilité des tissus (et j’en passe), va régulièrement à l’encontre de plusieurs de mes valeurs en tant que citoyenne. Si vous avez vu le documentaire The True Cost, vous comprenez parfaitement de quoi je parle.
 
Vous me direz que je pourrais sûrement me trouver un emploi dans une petite entreprise qui produit localement, mais je vous répondrais que, bien que mon emploi ne réponde pas à certaines de mes valeurs écologiques, il m'offre toutefois la flexibilité nécessaire à la conciliation travail-famille et ça, à mes yeux, ça compte pour beaucoup dans ma petite balance des valeurs et priorités. Mais, je m'éloigne du sujet…
 
Si je vous parle aujourd'hui de l'industrie de la mode, c'est que de grands changements sont en train de s'opérer sans qu'on en parle vraiment en dehors du domaine. Et même encore, dans l'industrie en tant que telle, les nouvelles nous arrivent au compte-gouttes et les impacts futurs sur l'industrie, mais également l'économie, nous semblent encore flous.
 
Au moment d'écrire ces lignes, le 9e sommet annuel du BRICS (rassemblant le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud) se tient à Xiamen, en Chine. L'impact environnemental de l'industrie du vêtement (principalement) est au centre des discussions. Du coup, des mesures ont été prises pour réduire les impacts néfastes de la production, tant sur l'environnement que sur la santé des travailleurs. Des inspections sont en cours et toute manufacture n'étant pas conforme aux nouvelles mesures environnementales mises en place se voit contrainte de fermer temporairement, le temps de rendre leurs équipements et processus conformes, ou définitivement si elles n'ont pas les ressources ou moyens nécessaires pour se conformer. En ce moment même, il semblerait que ce soit des dizaines de milliers de manufactures qui ferment leurs portes. Les plus récalcitrants, ceux qui refuseraient de stopper la production en cours suite à l'évaluation se font même couper le courant, question de s'assurer qu'ils ne puissent compléter aucune commande tant et aussi longtemps qu'ils ne se seront pas conformés.
 
Bien que je sois heureuse de voir que la pollution et la santé des travailleurs sont enfin prises en compte (too little too late me direz-vous, mais j'ose faire preuve d'un peu d'optimisme lorsque possible face au sort de l'humanité et de notre planète), je ne vous cacherai pas que le backlash à venir nous stresse énormément dans notre domaine. De possibles répercussions économiques sont à prévoir. Pensons notamment aux emplois qui seront abolis en Chine, mais également aux clients qui, à l'autre bout de la chaîne, se retrouveront possiblement avec des livraisons annulées suite aux fermetures des divers fournisseurs.
 
On nous encourage souvent à acheter local, et avec raison. Mais dans le domaine de la mode, le processus est assez complexe. Oui, la robe confectionnée à Montréal dans un atelier de réinsertion sociale est beaucoup plus éthique que le fast fashion acheté dans une grande chaîne à un prix dérisoire. Le problème, c'est que même en voulant faire l'achat le plus éthique et censé possible, en tant que consommateur, il est quasi impossible de connaître la provenance de chaque composante (boutons, fermetures éclair, tissus, imprimés, name it…) ainsi que les conditions dans lesquelles elles ont été conçues. Bon nombre d'entreprises qui produisent localement risquent tout de même d'être affectées par les changements en cours en Asie, ne serait-ce que parce que les tissus et diverses fournitures, même lorsqu'achetés via un agent local, proviennent habituellement de l'Asie.
 
Bref, on dirait qu'on ne s'en sort pas. On se croirait pris dans un downward spiral sans fin. Soyons réalistes ; la majorité des entreprises affectées par les changements en Asie risque fort de se tourner vers d'autres pays en voie de développement. Parce que c'est plus simple d'aller exploiter et polluer ailleurs plutôt que revoir les modèles d'affaires en place. Toute cette situation me donne (presqu') envie de devenir naturiste. Joke. Mais presque pas.

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