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Éliminer stalker de son vocabulaire : une histoire de harcèlement
Crédit: Vladimir Agafonkin/Unsplash

« Tu me plais énormément, j’ai essayé tes chaussures, on fait presque la même pointure. »
 
Été 2014, j’étais l’Ouest canadien avec des amies. J’y ai croisé une personne qui travaillait pour la même compagnie que moi. Nous n’avons pas lié d’amitié. Je suis partie. Ça aurait dû finir là.
 
Un mois plus tard, cette personne m’écrit : « Je trouve que c’était super fort ce qui s’est passé en 2 semaines, et que c’est donc dommage de ne rien faire. » Elle m’écrit que je l’ai draguée de façon offensive et hypersuggestive. Je suis étonnée : à ce moment de ma vie, je n’ai plus de souvenirs précis d’elle. Elle semble complètement ailleurs, détachée de la réalité. Je décide de ne pas lui répondre.
 
À la rentrée, je reçois un nouveau message. Elle est à Montréal : « Alors je suis partie sur la rue Ontario Est pour te chercher, j’ai une très mauvaise mémoire des chiffres alors du coup l’adresse de ta carte d’identité, j’en ai aucune idée si elle est bonne ou pas… » Je comprends qu’elle est entrée dans ma tente et qu’elle a fouillé mes affaires. Elle va jusqu’à se rendre à mon université pour demander mon numéro. Au téléphone, on me précise qu’elle insiste vraiment pour me contacter. Et ce, plusieurs jours d’affilé.
 
Lorsque je tente de la bloquer, elle se crée un nouveau compte Facebook. Lorsque je supprime mes autres boîtes courriel, elle m’écrit sur mon adresse universitaire. Elle dit vouloir me « reconquérir » alors que nous n’avons jamais discuté plus de trois minutes. De plus en plus insistante, elle commence à m’insulter.
 
La bibliothèque, où elle décide de m’attendre tous les jours, est à deux coins de chez moi. Faire mes courses, aller chercher des livres et sortir dans les bars deviennent des activités quotidiennes que je ne fais plus. Rapidement, je cesse aussi d’aller à mes cours.

Autour de moi, on ne prenait pas la situation au sérieux. Parce que c’était une fille. Parce qu’elle était malade. Elle n’était ni « forte » ni « dangereuse » : j’aurais dû être capable de poursuivre ma vie. Elle a continué de m’écrire et j’ai arrêté d’en parler.
 
Je vais mieux aujourd’hui. Elle est partie et je n’y pense plus tous les jours. Néanmoins, je ressens un énorme malaise quand on utilise le mot stalker pour parler des réseaux sociaux. C’est un mot si commun : tout le monde le prononce. Pour moi, stalker, ce n’est pas regarder les photos rendues accessibles sur Instagram. Pour moi, stalker fait référence à l’automne durant lequel je suis restée cachée. C’est la raison pour laquelle j’ai supprimé mon compte Facebook. C’est le jour où quelqu’un s’est introduit dans mon intimité de manière forcée et a commencé à traquer mes différentes activités.
 
Même si le mot fait d’abord référence à une obsession persistante, à du harcèlement, il a progressivement intégré notre vocabulaire. Peut-être parce que la technologie évolue plus rapidement que notre langue. Peut-être parce qu’on ne savait pas comment nommer ce nouveau phénomène. Aujourd’hui, tout le monde stalke et tout le monde est stalké. C’est même devenu la parfaite excuse pour ne pas étudier.

C’est rendu un mot tellement ordinaire qu’on ne pense plus à ce qui se cache derrière. Son usage si répandu mène à la banalisation d’une expérience difficile. Malheureusement, ça ne rend pas le sujet plus facile à aborder…

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