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L’histoire d’amour du vélo et du féminisme : entrevue avec Gabrielle Anctil
Crédit: Ravy Illustration

Gabrielle, qui es-tu?
Je suis une Montréalaise impliquée dans plusieurs projets dont beaucoup tournent autour du vélo! Je suis particulièrement active au sein des Dérailleuses, un collectif cyclo-féministe, et je suis porte-parole du groupe Vélo fantôme qui organise des cérémonies en mémoire de cyclistes décédés sur la route. Je suis aussi mécano de vélo bénévole et j’ai cofondé une soirée de mécanique en mixité choisie à l’atelier Right to Move/La voix libre. En parallèle, je suis journaliste (je fais des piges écrite et radio) et je gère des projets Web pour la coopérative CoLab basée aux États-Unis.

Crédit : Alexandre Morneau-Palardy

 
Wahou et pourquoi le vélo?
Je suis tout simplement complètement tombée en amour avec la bicyclette! En 2007, j’ai eu un véritable coup de foudre pour le vélo d’adulte. Et depuis, ça ne m’apporte que du bonheur. Dès le départ, je l’ai envisagé comme un acte militant parce que c’est un moyen de déplacement qui donne une liberté et une autonomie incroyable. Très vite, il a été clair pour moi qu’il est nécessaire de faire plus de place au vélo dans l’espace public. Je travaille donc activement à ce qu’il y ait plus de vélos dans la ville, parce que je suis convaincue que cela sera meilleur pour la communauté.
 
À Montréal, le vélo a commencé à se développer entre les années 70 et 90, grâce au groupe militant Le Monde à Bicyclette. Mais politiquement, et en termes d’aménagement, ça n’a pas suivi! Encore aujourd’hui, les administrations municipales continuent à se bander les yeux. Il n’y a que la productivité qui compte, aller vite, au lieu d’aller bien… Dans certains classements, il est dit que Montréal est dans le top 20 des villes de vélo au monde, mais c’est juste vrai pour le nombre de cyclistes, pas la qualité des aménagements! Il y a encore tellement de travail à faire. On a que la force du nombre finalement, envers et contre tout!
 
Le lien avec le féminisme?
Le vélo et le féminisme, c’est une histoire d’amour des premiers jours! Historiquement, le vélo a toujours été un outil d’émancipation. Dès la fin des années 1800 aux États-Unis et en Angleterre, des femmes commencent à imposer de se déplacer seules, sans chaperon. Les bloomers, qui au départ étaient vus comme des sous-vêtements, se normalisent, et donc, des femmes font du vélo en pantalon en public. Pour celles qui militent pour leur droit de vote, le vélo devient le principal moyen de rassemblement!

Et je te dirais que pour moi, c’est encore aujourd’hui révolutionnaire dans une société qui continue à voir les femmes comme fragiles. Encore aujourd’hui, le vélo c’est un outil de déplacement qui te permet d’être indépendante, de jour comme de nuit. C’est aussi le moyen de déplacement le moins cher, et puis réparer un vélo ça donne les bases de la mécanique, ça donne confiance en soi! Ça invite à se demander : « Qu’est-ce que je peux faire dans ma vie seule, sans homme? » C’est simple : TOUT!
 
Il y a ce groupe génial, les Ovarian Psycos, ce sont des femmes racisées qui se rassemblent et font du vélo! Elle veulent dire : on existe, on est là, vous pouvez pas nous ignorer, et on est ensemble, fortes, on ne va pas se taire! https://ovarianpsycos.com/
 
Tu peux nous parler plus précisément de ton engagement?
J’ai rejoint le collectif Les Dérailleuses en 2013, qui existait depuis 2009 et organisait entre autres des ateliers de construction de vélo, et j’ai co-organisé en 2014 des balades à vélo l’hiver pour offrir à ceux qui le souhaitaient la chance de tester ça de façon sécuritaire et encadrée. La conférence « vELLE-oh! » qui explorait l’intersection du féminisme et du cyclisme en 2015 a été un gros succès. Et franchement, l’intérêt que cela a suscité nous a prises de court.

Nous avons alors décidé de faire un zine le « Londonderry » qui se voulait un résumé des ateliers de la conférence, en plus de contributions d’un peu partout dans le monde. En un mois, toutes les copies se sont vendues! Et tout le monde en voulait plus. Je me suis alors associée avec Ravy de Ravy Illustration pour produire un 2e volume sur le cyclotourisme. Les 500 copies sont presque toutes vendues aujourd’hui! Il y a un réel intérêt, un désir d’allier le féminisme et le vélo.

Aujourd’hui, beaucoup de gens mesurent si une ville est cyclable, au nombre de femmes à vélo dans les rues! La majorité des villes sont conçues pour une sorte d’humain précise : un homme de taille moyenne. À Montréal, spécifiquement, tout semble être conçu pour aller du boulot à la maison, mais pas vraiment plus. J’ai tellement hâte de voir des personnes plus âgées, des femmes mécaniciennes dans les boutiques, et des femmes faire du vélo l’hiver!
 
Euh, du vélo sous la neige?
Oui, tu vois, les rues sont mieux déneigées que les trottoirs. La ville est conçue davantage pour les voitures que les piétons! Et pour celles que ça intéresse, il existe des formations de vélo d’hiver.
 
Et les voitures?
Je ne veux pas rentrer dans la guerre vélo contre auto, je ne crois pas que c’est comme cela que le vélo va se développer. Je pense qu’on peut voir les choses autrement, notamment en parlant de pyramide de la vulnérabilité et en demandant à chacun de respecter le plus vulnérable, qui est en premier lieu les piétons, et après les cyclistes. C’est vrai qu’il n’y a pas toujours de la place pour tous, donc, selon moi, les décideurs devraient tout faire pour qu’il y ait moins de chars sur la route et des constructions intelligentes qui protègent les cyclistes et les piétons.

Crédit : François Démontagne

 
Sur quel projet tu travailles en ce moment?
Sur les cyclistes invisibles! Ceux qui ne peuvent pas faire du vélo classique, ceux qui en font avec des restrictions, les parents, les aînés, les femmes racisées, tous ceux qu’on doit voir plus! Peut-être qu’un jour j’aimerais aussi faire un livre pour enfants sur le vélo et pourquoi pas aussi des projets avec une direction plus artistique que politique? Moi, je veux que ce soit mainstream le vélo, je m’en fous d’être trop hip, j’aimerais ça être dépassée finalement!
 
Qu’est-ce qui t’inspire?
Les femmes qui sont curieuses, qui explorent! C’est pour que ça j’ai fait le tour de l’Uruguay toute seule à vélo. Au départ, je voulais aller jusqu’en Patagonie sans prendre l’avion. Je suis partie en bus, et sur la route, j’ai vu plein de mecs à vélo. Je me suis dit : « et pourquoi pas moi »? J’ai donc acheté un vélo en Argentine et c’était parti! Avec mon équipement de camping, j’étais totalement autosuffisante, c’était incroyable, je n’ai jamais été autant libre de toute ma vie…  
 
Que te souhaites-tu pour l’avenir, que souhaites-tu à Montréal?
En 2012, après le mouvement étudiant, je me suis retrouvée en voyage en Californie chez des amis qui n’étaient pas dans cette vibe-là, et je me disais que je ne pouvais pas être heureuse si la ville dans laquelle je vis n’est pas conçue pour que la majorité des gens soient bien. Je ne me souhaite donc pas quelque chose de bon juste à moi, je souhaite une ville qui permette aux plus vulnérables de s’épanouir. J’ai habité ailleurs, et je finis toujours par revenir à Montréal… c’est une ville merveilleuse, elle est en moi, mais je crois qu’elle peut être encore meilleure. J’ai hâte d’avoir 85 ans et de voir la ville incroyable qu’elle sera devenue!
 
Le mot de la fin?
C’est le fun de faire du vélo, je vous encourage à essayer. Les Dérailleuses accueillent toujours de nouvelles têtes, rejoignez-nous ! http://www.lesderailleuses.org/
 
Pour en savoir plus sur Gabrielle : http://www.gabrielleanctil.com/

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