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J’ai trente ans et je m’automutile
Crédit: Taylor Smith/Unsplash
Ça devait faire un bon quatre ans que c’était arrivé, mais ce qui devait arriver arriva.
 
J’ai passé mon adolescence à combattre ce besoin et à me battre contre l’envie de continuer lorsque c’est arrivé. De mes 12 à 18 ans, j’ai réussi plus souvent qu'autrement à raisonner mon envie de me faire mal. Je n’ai pas réussi la plupart du temps après. Mes cuisses ont encaissé le coup, les marques, les cicatrices blanches qui ne bronzent pas. 
 
À ma jeune vingtaine, j'ai réalisé que j’avais la possibilité de transformer mes jambes en une œuvre d’art qui me rappellerait autre chose que mon mal. On m’a donc tatouée. J’ai des tatouages, chacun plus symbolique que le précédent, sur chacune des zones qui m’ont rendue vulnérable. J’ai dessiné sur chacune des parties de mon corps qui autrefois n’étaient qu’un nid pour recevoir tout mon mal.
 
Aujourd’hui, je réalise que ce n’était peut-être pas assez.
 
À 18 ans, j’ai réalisé que ça n’avait pas de bon sens. Je me sentais comme une enfant qui réalise qu’elle doit arrêter de manger ses crottes de nez. Ça ne se fait pas, ça, à l’âge adulte! Mais je n’ai jamais réellement trouvé l’issue qui me guiderait vers un chemin pur, vers un chemin où mon bien-être passerait par me faire du bien.
 
Dès que je vivais quelque chose de trop intense, la meilleure manière d’en témoigner se traduisait par l’automutilation. Comme je suis coiffeuse/barbière, mon attirail de travail est plein de lames neuves. Je me suis longtemps trouvée chanceuse d’avoir accès si facilement à ces objets coupants. Pourtant, c’est vraiment un cadeau empoisonné.
 
Je me souviens, en 2009, les semaines avant que je laisse l’homme qui est encore aujourd’hui mon copain (mais ça, c’est une autre histoire), j’étudiais en coiffure et je coupais mes cuisses entre chaque client. Je revenais à la maison et il ne comprenait pas. Peu de gens comprennent.
 
Récemment, comme tout ça était loin de moi, moi-même je ne comprenais pas.
 
Et ce soir, ça m’a frappée.
 
Tout va bien dans ma vie. Plus que jamais. Mais ce n’est jamais assez.
 
Ce n’était pas assez pour pleurer, alors je me suis coupée. Beaucoup. Plus que jamais. Et vu que ça traduisait moins de mal que jamais, j’ai juste pleuré après.
 
J’ai réalisé combien le véhicule humain que j’habite, mon corps, me permet un réel contact, que j’ai rendu hermétique. Mon métier m’amène à entrer en contact avec un grand nombre d’individus au quotidien. Pourtant, je n’existe presque plus. Mon besoin d’exister se manifeste.
 
J’ai trente ans et je m’automutile. C’est plus doux que jamais. Je le fais dans le silence, d’une manière rituelle. Je n’encourage personne à faire ce que je fais. Au contraire. Si je me situe mieux que toutes les fois où je l’ai fait avant, aujourd’hui, je l'ai fait pour exister, et j’ai trouvé ça ridicule.
 
J’ai décidé d’écrire un texte au lieu de continuer. Ce qui me ferait du bien, c’est qu’il soit publié. Juste pour vous rappeler, vous, si vous le lisez, que peu importe ce que vous faites, vous existez. Peu importe qui le reconnaît, il y a autre chose que le sang sur vos cuisses pour vous le rappeler.
 
Il y a eu des hommes qui m’ont aimée malgré les marques sur mes cuisses. Malgré mes tatouages, aujourd’hui j’ai créé de nouvelles cicatrices. Bientôt je comprendrai que tout ça n’a rien à voir. 
 
L’amour, ça commence par soi, c’est tout ce que je peux dire. 
 
J’ai désinfecté les plaies que je me suis faites. J’ai envie de crier ou de cajoler. J’ai envie de vous dire que c’est possible d’être complèt.e et brisé.e. De continuer à se compléter et de se détailler. 
 
J’ai trente ans, je m’automutile, parfois, et tout le reste du temps, j’arrive à m’aimer.
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