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Être saoûl.e dans une deuxième langue
Crédit: Kelsey Chance/Unsplash

Quand j’étais adolescente, j’adorais me tenir avec des étudiant.es universitaires, avec qui j’avais toutes sortes de conversations qui me faisaient totalement sortir de ma zone de confort en poussant mes limites intellectuelles. J’essayais toujours de participer, et je sortais invariablement de ces rencontres avec de nouvelles connaissances, une nouvelle curiosité ou le plaisir de savoir que j’ai pratiqué mes capacités lyriques. Sinon, je voulais activement m’entourer de personnes que je considérais comme étant intelligentes et passionnées, car c’est ce que j’aspirais à être, et nous sommes toujours influencé.e.s par les personnes avec qui nous passons le plus de temps. Lorsque j’allais dans des partys, j’étais toujours engagée dans des conversations philosophiques, spirituelles, etc. Rien de mieux que d’être saoûl.e pour parler de ces sujets avec des inconnu.e.s à 1h du matin, n’est-ce pas?
 
Hier fut donc la première fois que j’ai bu avec un groupe de personnes intellectuelles anglophones. Avant ça, quand j’habitais à Toronto avec mon ex, on se tenait beaucoup plus avec des personnes superficielles… avec qui les seules interactions que j’avais se résumaient pas mal à me faire demander de parler français parce que ça sonnait dont ben « exotique » à leurs yeux. Sinon, ces personnes avaient des connaissances plutôt limitées sur les sujets qui m’intéressent habituellement, donc si je parlais par exemple de féminisme ou de politique, ça finissait soit en questionnaire malaisant ou en « débat »où ils utilisaient tous les clichés et argumentaires fallacieux imaginables, alors je partais de là assez rapidement mettons.

J’ai toutefois réalisé que lorsque je suis entourée de personnes anglophones, mon cerveau réfléchit différemment. Je suis au courant des biais linguistiques que les gens ont inconsciemment, qui font qu’une personne avec un accent ou un vocabulaire plus restreint nous semble automatiquement moins intelligente.

Pas une fois hier je n’ai ressenti de jugement, après tout nous étions à Ottawa, à deux pas du Québec donc où la plupart des gens sont bilingues ou au moins habitué.e.s à entendre mon accent québécois, mais j’ai tout de même mis de la pression sur moi-même pour prouver que je n’étais pas stupide. Ça, c’est quelque chose que je fais bien malgré moi la plupart du temps déjà. Peu importe le groupe avec lequel je me trouve, j’ai peur du rejet me donnant toujours l'impression que je dois justifier mes capacités. Cette peur est enracinée depuis des expériences passées ou encore en raison du sexisme culturel qui fait que la plupart des hommes pensent inconsciemment que les femmes sont moins intelligentes ou moins instruites qu’eux et qu’ils ont ainsi le droit de nous questionner et de nous tester pour tenter de prouver cette conviction inconsciente. Mais ça, c’est une autre histoire, y’en a long à déballer sur le sujet et on peut en apprendre plus en recherchant ce qu’on appelle le gatekeeping.

Toutefois, il m’est infiniment plus facile de communiquer confortablement en français et ainsi parler de sujets plus difficiles, parce que j’ai une éloquence et un vocabulaire en lesquels j’ai confiance. Cette pression que je me suis donc imposée rendait la situation d’autant plus stressante que j’étais saoule et que ça ajoutait une couche de confusion aux conversations que je m’évertuais déjà à essayer de suivre.
 
Bref, j’apprends à dealer avec le fait que je ne serai pas toujours capable de m’exprimer comme je le voudrais, et j’apprends à accepter que je n’ai pas le contrôle sur la perception des gens à mon égard lors de ces situations. Je connais mes capacités, mes limites et je n’ai pas à me prouver. Je suis quand même définitivement plus réservée lorsque je suis avec des personnes anglophones puisque je ne suis pas encore totalement confortable avec tout ça. Lors de conversations rapides et engagées, j’ai peur de dire quelque chose parce que je n’ai pas le temps de formuler ma phrase pour qu’elle reflète exactement ma pensée. Je dois travailler sur ma confiance, pour accepter que j’aie le droit de faire des erreurs et qu’elles ne changent en rien mes capacités. 

Cette soirée fut donc une belle expérience, qui m’a certainement fait sortir de ma zone de confort d’une façon très plaisante et, au final, très positive. Je vais y retourner, c'est certain, et la prochaine fois je me mets au défi d'interagir davantage!

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