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Idées suicidaires : parler, c’est important. Mais si personne n’écoute?
Crédit: Sage Friedman/Unsplash
Juin 2012. 

Je suis chez mes parents. J'ai le souffle court. J'ai mal en dedans. Ma tête va à 100 000 à l'heure. Je me souviens pas du déclencheur exact, à ce moment précis. J'étais sur mon départ, sur le point de retourner chez moi, quand dans un vertige, j'ai dit les mots les plus lourds que j'avais jamais dit. 

« Si je retourne chez moi ce soir, je sais pas ce qui va m'arriver. »

J'ai texté ma meilleure amie Odile. Je lui ai dit comment je me sentais. Que si je retournais à la maison, ce soir-là, quelque chose m'arriverait. Elle a pas fait ni une ni deux. Elle m'a rejoint et elle m'a accompagnée à l'hôpital avec sa nouvelle date. L'urgence débordait ce soir-là. Comme pas mal tout le temps à l'hôpital de Gatineau. Odile est restée avec moi toute la nuit. Jusqu'à ce qu'un médecin me rencontre. 

Mes souvenirs sont un peu flous. Parce que j'étais pas vraiment là, to be honest. Je me souviens pas du visage du médecin. Encore moins de son nom. Par contre, je me souviens de sa voix. De son calme. Son écoute. Ça, je m'en souviens très bien. Son travail oblige, il m'a posé une tonne de questions. Pour comprendre. Le comment du pourquoi du parce que. Me comprendre, aussi un peu. La vérité, c'est que je savais pas exactement ce qu'il se passait. C'était pas la première fois. Mais c'était la première fois que je criais à l'aide.

Ça allait tellement vite. Ma vie était un peu sans queue ni tête, certes. J'accumulais les déceptions, les échecs, mais rien qui présageait ce qu'il se passait, là, maintenant. Tout était noir pis le boutte, je le voyais pu. Je le voyais juste pu. Je me souviens avoir dit au médecin que j'avais mal. Un mal en dedans, qui brûlait tellement, que j'en pouvais plus. Fallait que ça s'arrête. C'était trop. 

« As-tu un plan? » 
« Non. Je sais juste que je veux pu que mes yeux s'ouvrent demain. » 

L'aile psychiatrique était pleine à l'hôpital. Y en avait pas, de lit. Y en avait pas, de chambre de disponible. Et pourtant, il m'a entendu.  Il ne m'a pas laissé repartir chez moi ce soir-là. 
On m'a installée sur une civière, à l'urgence, avec de la surveillance 24h sur 24 pendant une semaine. Jusqu'à ce qu'une place en psychiatrie soit disponible, dans un autre hôpital. 

Si je raconte cette partie sombre de mon histoire, de ma vie, c'est parce que deux des derniers articles de Patrick Lagacé, au cours des dernières semaines m'ont troué le cœur. L'histoire de  Jean-François Lussier et Lili Homier, a fait resurgir ces souvenirs que je porte en moi.

J'ai tellement pleuré. Pour elle. Pour lui. Pour leur famille. Et j'arrive pas à m'en remettre depuis. J'y pense souvent et je vis une montagne d'émotions.

De la rage à la peine en passant par la culpabilité. L'histoire de Jean-François et Lili, personne ne peut y être indifférent. Deux histoires si similaires et différentes à la fois. Tous les deux ont lancé un cri à l'aide. Comme moi. Et si leurs proches les ont entendus, les gens du système de santé, eux, non. Ils les ont laissé tomber. Lili. Jean-François. Leur famille. Leur proche. 

Et si leur histoire est racontée, aujourd'hui, je me demande combien de Lili et de Jean-François il y a au Québec? Que leurs cris à l'aide ont pas été entendus. Combien d'autres familles sont brisées, pour le reste de leur vie, par manque de ressources, par manque d'aide?

Un des messages qui résonne si fort quand on parle de santé mentale et de suicide, c'est qu'il faut en parler. Qu'il faut aller chercher de l'aide. Ce message-là, on l'entend partout. « Parler c'est important. » 

À ça, j'ai envie de répondre que, oui, c'est important. À ça, j'ai envie de dire « OK! Mais ça sert à quoi de demander l'aide quand on n’entend pas le message de l'autre côté? Que les ressources, l'écoute et l'aide viennent pas? » Comment on peut expliquer, en tant que société, qu'on puisse mettre autant d'emphase sur l'importance de s'ouvrir, de parler, chercher de l'aide, mais, quand la tragédie arrive, jeter le blâme sur le manque de lits?

C'est un non-sens! Le message qu'on envoie et certaines actions posées ne se rejoignent pas. 

La culpabilité qui me transperce l'âme depuis la lecture de ces deux textes vient du fait que j'ai réalisé que j'ai été chanceuse. Pas à la loterie ou en gagnant un voyage.

Non. Avec ma vie.

Je suis toujours en vie, aujourd'hui, parce qu'un médecin, dans une urgence et un hôpital trop bondé, un soir de juin il y a 6 ans, a entendu mon cri de détresse. Et il m'a écoutée. Il m'a offert l'aide et les ressources dont j'avais besoin. 

Être toujours en vie, parce qu'un médecin nous a pris au sérieux, parce qu'un spécialiste m'a entendue, ça ne devrait jamais jamais jamais être un coup de chance. Ça devrait être automatique.

Parce qu'une vie humaine, ça n'a pas de prix. Parce que quand un adulte, un adolescent ou enfant souffre du mal de vivre, on devrait toujours tout déployer pour les écouter. Et les aider. 

Pour que des drames, comme celui des parents de Lili ou de la soeur de Jean-François, y en est moins. Qui en est plus. 

Si vous avez besoin d'aide, de support, n'hésitez pas à téléphoner : 

Centre de prévention du suicide du Québec   1 866 APPELLE (1 866 277-3553)
Tel-JEUNES   1-800-263-2266
SOS Suicide   1-800-595-5580

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