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J’aurais voulu qu’on me dise « Je te crois », c’est tout.

Ça s’est passé en 2007, j’avais 21 ans. Je venais tout juste de terminer ma technique en design de mode. J’étais tannée des longues heures que j’avais passées à l’école et je n’avais aucune fucking idée d’où mes études allaient me mener. 

En attendant de savoir vers quoi m’enligner, je travaillais comme acheteuse dans un magasin spécialisé en sport d’hiver, maintenant fermé depuis quelques années. Ce n’était pas une grosse job : je choisissais des vêtements deux fois par année et je ne m’occupais même pas des budgets. Le reste du temps, je travaillais sur le plancher 6 jours par semaine.

On sortait beaucoup, avec les amis de la job, genre au moins 2 ou 3 soirs par semaine. J’en garde de bons souvenirs, ça me fait sourire de voir nos plans de marde apparaître en souvenirs Facebook. Essayer de ne pas dépenser trop de sous qu’on n’avait pas, pré-drinker pour être certains de respecter notre budget et ne pas compromettre le fait qu’on voulait tout le temps sortir restent d’assez bons souvenirs. 

Sauf peut-être un certain samedi soir, dont je me suis souvenu la semaine dernière. Le soir où je me suis fait violer.
 
À cette époque, et surtout à cet âge-là, je ne savais pas vraiment c’était quoi, une agression sexuelle. J’avais une idée du viol qui s’apparentait plus à ce qui se passait dans les films ou les épisodes de C.S.I. que j’écoutais en reprise les soirs où je ne sortais pas. 

La soirée qui a précédé mon viol était comme toutes les autres. J’étais avec mes amis de job et nous étions sortis. Mon boss avait organisé un événement dans un bar et il avait sorti les gros sous pour nous acheter des bouteilles de vodka. Ils nous faisaient des shooters directement dans la bouche. On était torchés, mais je me sentais en sécurité parce que mon meilleur ami de l’époque prenait soin de moi, il était toujours un peu là pour garder un œil sur moi.
 
Je vais toujours respecter ce gars-là, même si les aléas de la vie ont fait en sorte que nous ne sommes plus proches. Il m’a souvent montré qu’il ne voulait pas qu’il m’arrive quelque chose de grave. Comme ce soir-là et pour toutes les fois où il prenait soin de moi lorsque j’avais des comportements dangereux, avant qu’on me diagnostique ma dépression.

Donc, cette soirée-là, je m’étais mise à frencher un gars avec une moustache. Un gars que je ne connaissais pas. Mon ami m’avait sorti de là, voyant que je ne faisais pas tellement ça de mon gré, que j’étais juste trop saoule pour savoir ce que je faisais. Merci pour ça, vraiment.
 
Plus tard dans la nuit, je suis disparue. Mes amis ne me trouvaient plus. Le lendemain, je me suis réveillée chez moi, toute seule, mes draps tachés de sang. J’étais menstruée. Je me disais que c’était un peu con de m’être couchée sans mes culottes et une serviette hygiénique. J’ai blâmé ça sur le fait que j’avais trop bu la veille, surtout que je ne me souvenais même plus comment j’étais revenue chez moi.

J’ai pris une douche. Je travaillais dans une heure, alors je me suis mis à chercher mes affaires. Je n’ai jamais été du genre à m’étaler, même fortement en boisson. Je suis plus du type à faire un petit tas à côté de mon lit avec mon linge de la veille et ma sacoche. Étrangement, pas de petit tas d’effets personnels nulle part. 

J’ai fini par trouver ma sacoche, mais il me manquait plein de choses : mes clés, mon fond de teint, mon permis de conduire, mon manteau et mon appareil photo. Moi qui ne perdais jamais rien, je me trouvais conne en crisse. Je m’en voulais d’avoir bu autant. J’ai pris mes affaires et je me suis dirigée vers la porte de mon appart’. La porte n’était pas verrouillée. Je n’avais jamais fait ça, peu importe mon état, laisser ma porte débarrée. Confuse, poquée et fâchée après moi-même, j’ai pris le métro puis l’autobus pour me rendre au travail.

Une fois arrivée au magasin, j’ai demandé qui m’avait ramené chez moi la veille et si quelqu’un avait ramassé mon appareil photo et mon permis de conduire. Personne ne savait comment j’étais rentrée. Je ne me sentais vraiment pas bien. J’étais anxieuse et hungover. Je n’arrêtais pas de vomir de la bile. J’ai perdu connaissance dans les toilettes et mon boss m’a dit de rentrer me reposer. Je me dis qu’il devait un peu se sentir responsable de mon état.
 
Je suis rentrée chez moi, j’ai changé mes draps et je me suis couchée jusqu’au lendemain.
 
Le lundi était ma journée de congé et j’en profitais pour suivre des cours d’anglais. Après mon cours, j’avais encore la mine déconfite et j’ai demandé à Josiane de venir me chercher en voiture. Normalement, ça la dérangeait quand je lui demandais ça à la dernière minute, mais cette fois-là, elle est arrivée rapidement sans rien dire. Elle avait une drôle d’expression dans le visage. 

Je lui ai demandé de me dire ce qu’elle avait puis elle m’a lâché :
 
— Connard (notre chien) a trouvé des boxers sous ton lit.
— Des boxers comment?
— Des gros boxers avec des élastiques, genre des XXL.

Je n’avais jamais invité qui que ce soit chez nous, et encore moins dans mon lit. À qui ces sous-vêtements auraient pu appartenir? Ça n'avait pas de sens. Arrivée à l’appart, j’ai jeté les boxers aux poubelles. Je ne savais pas pantoute à qui ils appartenaient et je ne voulais pas de ça chez moi.
 
À mon shift suivant, je suis allée voir mon boss dans son bureau. Je pleurais. Je ne savais pas quoi faire, mais je savais que le gars aux boxers XXL avait fait quelque chose de pas correct et que ça s’était passé après notre dernière soirée avec les amis du travail.

Je cherchais des réponses pis mon boss aussi. Il s’est mis à appeler des amis qui étaient là lors de la soirée pour en savoir plus. Je suis retournée à l’avant du magasin pour faire mon travail. Puis, j’ai reçu l’appel le plus weird de ma vie.
 
« Salut Carolane, c’est X de la compagnie Y. Je ne sais pas si tu te rappelles, mais j’ai été te reconduire chez toi samedi soir. Tu m’as demandé un lift. Je voulais juste savoir si ça allait correct. »

Je lui ai dit que je ne me souvenais de rien. Que je n’avais plus mes affaires et que s’il les avait, de venir me les porter chez moi. Il a raccroché puis j’ai su que c’était lui qui avait laissé ses boxers sous mon lit. Qui avait abusé de mon état de fille pas en mesure de consentir à quoi que ce soit. Ça a pris des dizaines de courriels, des appels de mon boss et une menace de le dénoncer à la police pour qu’il me redonne mes effets personnels. Le gars n’est jamais revenu au magasin, même s’il venait quelques fois par mois depuis toujours.
 
Le pire dans tout ça, c’est que ça m’ait pris un ou deux ans, réaliser que c’était un viol, parce que je pensais que c’était de ma faute. 

Après tout ce temps, je savais qu’il était impossible de recueillir des preuves et je ne voulais pas entreprendre de démarche judiciaire contre mon agresseur parce que je ne voulais pas le revoir. Je m’en suis longtemps voulu et ça a changé ma façon de dealer avec les one night stands et les gars en général. J’ai réalisé que ça expliquait l’écœurement que je ressentais et, parfois, montrais aux gars avec qui je couchais. 
 
Quand je lis des affaires comme le torchon de Sophie Durocher – on ne mettra pas le lien, nous ne voulons pas lui donner plus de clics qu’elle en a déjà – qui discrédite le mouvement #OnVousCroit des CALACS (centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel), j’ai juste le goût de flipper des tables. Dire des choses pareilles, après tout le travail qu’a fait le mouvement #AgressionNonDénoncée, est tout simplement dégueulasse pour les victimes de viol qui n’ont pas eu la chance ou le courage d’agir à temps.
 
Dans le fond, il y a huit ans, j’aurais tellement aimé me faire dire que ce n’était pas ma faute et que, oui, c’était un viol.
 
J’aurais voulu qu’on me dise « Je te crois. », c’est tout. 
 

***

Si vous avez besoin de parler d'une agression, il y a de nombreuses ressources pour vous aider, dont le groupe Je suis indestructible.

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